L'animal préféré de Michel Lacoste? Presque trop facile. « Depuis mon jeune âge, je vois des crocodiles autour de moi et je m'en porte très bien », dit-il en souriant.

Michel Lacoste a vécu toute sa vie aux côtés du crocodile, un animal combatif qui peut rester de longues périodes sans manger (n'est-ce pas le logo idéal pour survivre à une récession?). Mais depuis quatre ans, son rôle a changé. De fidèle compagnon, Michel Lacoste est devenu, un peu malgré lui, le gardien de l'empire du crocodile.Destiné à une vie professionnelle dans l'ombre de son légendaire père René Lacoste et de son frère aîné Bernard, Michel Lacoste accède à la présidence de Lacoste en 2005. L'homme de 65 ans, qui a étudié l'astrophysique dans sa jeunesse, s'avère un gardien tranquille, respectant à la lettre le plan d'affaires qui fait le succès de Lacoste, même si les revenus sont en baisse légère mais constante depuis deux ans, dont une baisse de 5% pour les huit premiers mois de l'année 2009.

«Nous voyons bien les effets de la récession comme tout le monde, mais probablement moins que d'autres marques. Nous avons des racines de qualité et de fiabilité qui font en sorte que le consommateur est rassuré par notre marque», dit Michel Lacoste en entrevue à La Presse Affaires, en marge de la Semaine de la mode de New York à la mi-septembre.

«Nous ne transigerons jamais sur la qualité de nos produits. Nos clients n'achètent pas notre gamme sur la base d'un prix. Il ne faut pas faire de concessions là-dessus, car le consommateur verra très bien un coton moins cher», dit Michel Lacoste, un homme effacé trop heureux de laisser la vedette au crocodile.

La deuxième chance américaine

Ne pas faire de concessions, la famille Lacoste a appris cette leçon à la dure. En 1992, elle a vu son crocodile disparaître des tablettes américaines après la faillite de son distributeur. Son distributeur américain Izod, qui moussait ses ventes grâce aux chaînes de magasins bas de gamme, avait été trop gourmand, inondant les boutiques de Lacoste, une marque toujours connue pour son élitisme et son bon goût.

L'opération a été lucrative à court terme - le chiffre d'affaires avait atteint 500 millions par année aux États-Unis, une somme encore inégalée à ce jour -, mais elle a finalement causé la perte d'Izod. Lacoste a pu racheter les droits sur son petit crocodile en Amérique, mettant ainsi fin à un litige juridique datant de 1907 et qui s'est rendu deux fois en Cour suprême des États-Unis. «Notre licencié (Izod) a acquis le droit de fonctionner de façon assez indépendante et il a trop écouté les sirènes, dit Michel Lacoste. Il a développé nos produits d'une façon trop rapide en sacrifiant la qualité.»

L'échec américain a été difficile à avaler, mais Michel Lacoste et le reste de la famille ont retenu la leçon. «Gérer une marque, ça demande de la rigueur, dit-il. La tentation, c'est de sacrifier son âme en valorisant le volume.»

En faisait un retour graduel aux États-Unis à travers leurs propres boutiques à compter de 1995, Lacoste a bien géré sa deuxième chance. Si bien que les États-Unis sont aujourd'hui le premier marché de Lacoste, avec un chiffre d'affaires annuel de 239 millions d'euros (379 millions CAN) et 69 boutiques.

Il s'agit en quelque sorte d'un retour aux sources pour le crocodile, qui doit son association à Lacoste à la suite d'un pari effectué par René Lacoste lors d'un match de tennis à Boston. Le numéro un mondial de tennis en 1926 et 1927 avait vu une valise en crocodile à son goût dans une boutique entre deux matchs de Coupe Davis. Son entraîneur promet de lui acheter s'il gagne son match. Le numéro un mondial de l'époque perd son match (et la valise), mais les médias français ont vent de l'histoire et le surnom, qui colle bien à son tempérament combatif sur le terrain, l'a suivi pour le reste de sa vie.

Au fil des décennies, l'expansion de Lacoste, une société fondée à Paris en 1933 après la retraite sportive de son fondateur pour cause de tuberculose, ne sera pas seulement géographique. Célèbre pour son traditionnel polo, le crocodile a maintenant son sac, ses chaussures, ses lunettes, son parfum, sa valise. Si bien qu'aujourd'hui, les vêtements ne constituent plus que 60% des ventes de Lacoste.

Arrivé en 2000 chez Lacoste, le designer Christophe Lemaire a aussi créé une collection de vêtements plus diversifiée qui fait concurrence au polo. Aujourd'hui, Lacoste vend deux vêtements par seconde et un polo par deux secondes à travers le monde. «Il n'a jamais été question de renoncer au polo, mais Lacoste a aussi d'autres choses à offrir, dit Michel Lacoste. Il y a toujours eu des cycles en mode. Si le polo est un tout petit peu moins en demande depuis trois ou quatre ans, le consommateur va bientôt redécouvrir son charme. Quelques années après, il s'en lassera et ira voir ailleurs. C'est comme la longueur des jupes des femmes: c'est quelque chose qui monte et descend.»

La délacostisation de Lacoste

En 2005, Michel Lacoste sort de l'ombre de son père René et son frère Bernard. Grand patron de l'empire familial depuis 1963 mais tombé gravement malade, Bernard Lacoste rendra l'âme l'année suivante.

La plus grande décision du frère cadet: délacostiser Lacoste. En 2008, Michel Lacoste confie la direction générale du groupe à l'extérieur de la famille. Christophe Chenut, publicitaire de métier et PDG du journal sportif L'Équipe, est recruté. Une décision prise afin d'atténuer les tensions entre divers membres de la famille Lacoste, qui détient 65% de la société évaluée à 400 millions d'euros (632 millions CAN) selon la presse française. Le reste de l'actionnariat est détenu par une autre grande famille européenne, les Maus, propriétaire du Groupe Devanlay qui distribue les produits Lacoste à travers le monde.

Selon la presse française, la nomination de la deuxième femme de Michel Lacoste (qui s'est remarié) comme directrice des communications du groupe aurait été mal acceptée par son fils Philippe, responsable de la lucrative division sac et chaussures. Finalement, il semble que le litige ait été résolu au bénéfice... de personne: Philippe est parti travailler pour la fondation René Lacoste et sa belle-mère Réjeane Lacoste a remis sa démission.

Même s'il a cédé certains de ses pouvoirs à Christophe Chenut, Michel Lacoste donne l'impression d'être encore le grand patron. «Nous sommes très heureux que Christophe ait rejoint les équipes du crocodile, dit Michel Lacoste. C'est un ami de longue date et nous formons tous ensemble une équipe qui fonctionne bien. De toute façon, dans une entreprise, l'entraîneur, c'est un peu les actionnaires. Ce sont eux qui décident qui mettre devant le but, en défense et en attaque.»

Pour l'instant, difficile de tracer le bilan du tandem Lacoste-Chenut, aux prises à la fois avec une crise économique mondiale sans précédent et l'essoufflement naturel de la croissance de Lacoste. Entre 2002 et 2007, les revenus mondiaux du petit crocodile ont doublé, mettant la barre un peu haute pour l'avenir. Pas surprenant que le chiffre d'affaires de Lacoste soit en baisse depuis deux ans, à l'échelle mondiale comme au Canada. «Nous avons ensuite vécu une grande période de croissance dans un temps économique favorable (dans les années 2000), dit Michel Lacoste. À certains moments, il faut mettre les fondations. Je pense que nous allons connaître une autre période de croissance bientôt.»

Mais Michel Lacoste ne s'inquiète pas pour l'avenir son animal préféré. Peu importe le climat économique qu'il aura à affronter. «Le style de vie Lacoste est moderne et actuel, et notre famille de partenaires est solide, dit-il. Nous n'avons pas du tout d'inquiétudes sur la pertinence de notre marque. Le crocodile a encore beaucoup de beaux jours devant lui», dit-il avec cette confiance - tranquille - qui le caractérise.

Lacoste en bref

Chiffre d'affaires: 2,37 milliards CAN (1,5 milliard euro) en 2008, dont 41 millions $CAN au Canada

Géographie : 113 pays

Étendue: 1118 boutiques, dont 13 boutiques au Canada

Diversification: 60% en ventes de vêtements, 40% en ventes de produits dérivés

LIGNE DU TEMPS

L'histoire de Lacoste

1904

Naissance de René Lacoste à Paris.

1925

René Lacoste remporte le premier de ses sept titres du Grand Chelem au tennis.

1927

René Lacoste reçoit le surnom du « Crocodile » au cours d'un match de Coupe Davis aux États-Unis.

1929

Atteint de tuberculose, René Lacoste prend sa retraite du tennis. Il vaincra sa maladie.

1933

Création de La Chemise Lacoste, la société qui deviendra Lacoste, par René Lacoste et son ami manufacturier André Gillier. Lacoste fabrique uniquement des polos blancs.

1940

Lacoste interrompt ses opérations durant la Deuxième Guerre mondiale, pour les reprendre en 1946.

1951

Premier polo de couleur. Premières exportations en Italie.

1952

Premières exportations aux États-Unis.

1963

Bernard Lacoste, le fils aîné de René, devient président et directeur général de la société.

1966

Accord de distribution en Amérique du Nord avec la société Izod, une filiale de General Mills.

1968

Premier produit dérivé : l'eau de toilette Lacoste.

1974

Invention des raquettes de tennis en acier par René Lacoste.

1981

Ouverture de la première boutique Lacoste à Paris.

1992

Lacoste rachète ses droits de distribution en Amérique du Nord à son distributeur Izod, alors en faillite. Il les cèdera l'année suivante au groupe Devanlay, qui s'occupe de ses droits de distribution à travers le monde.

1995

Ouverture de la première boutique Lacoste aux États-Unis, en Floride.

1996

Décès de René Lacoste à Paris.

2005

Michel Lacoste remplace son frère aîné Bernard la présidence et la direction générale de Lacoste.

2006

Décès de Bernard Lacoste à Paris.

2007

Hausse de 100% des revenus mondiaux de Lacoste au cours des cinq dernières années (2002-2007).

2008

Christophe Chenut, anciennement PDG du groupe L'Équipe, devient directeur général de Lacoste. Michel Lacoste conserve la présidence de la société. Lacoste participe à la campagne de l'ONU «Save Your Logo» en finançant des projets pour sauvegarder certaines espèces de crocodile en voie de disparition.