Après avoir investi près de 3 milliards pour acquérir des droits de polluer sur le marché du carbone, les entreprises ontariennes n'ont plus le droit de les vendre. La Californie et le Québec ont interdit à leurs entreprises de les acquérir pour éviter l'effondrement du programme de lutte contre les changements climatiques.

Doug Ford, élu premier ministre de l'Ontario le 8 juin, a annoncé vendredi que sa province se retirerait du système de plafonnement et d'échange qui vise à limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES).

Cette nouvelle a été accueillie avec déception par son homologue québécois, Philippe Couillard, qui a réagi pour la première fois à la décision, hier.

« Je trouve ça triste de voir l'Ontario s'éloigner d'un engagement concret dans la lutte aux changements climatiques », a-t-il déclaré au terme d'un discours à Lévis.

Le Québec et la Californie sont désormais les seuls participants au marché du carbone chapeauté par la Western Climate Initiative. Dès vendredi, ils ont interdit aux émetteurs ontariens de vendre les droits d'émissions qu'ils avaient acquis sur le marché depuis le début du programme dans cette province, en 2017. Aux yeux de M. Couillard, c'était la seule chose à faire pour éviter l'effondrement du marché.

« Le marché du carbone a été fermé aux entreprises ontariennes parce que, ce qui serait arrivé, c'est qu'ils seraient venus faire littéralement du dumping de bons d'émissions dans notre marché, affaisser les prix et détruire le marché. Ils ne peuvent plus faire ça maintenant. » - Philippe Couillard, premier ministre du Québec

Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal, s'est dit surpris de la vitesse avec laquelle les entreprises ontariennes ont été exclues du marché de la revente. Mais selon lui, la mesure était nécessaire en raison de l'apparente détermination de Doug Ford à quitter le programme.

« Peut-être que la mécanique pour mettre fin au marché va être trop difficile pour Doug Ford : va-t-il rembourser tous les droits d'émissions vendus ? Avec quel argent ? S'il ne les rembourse pas, les émetteurs vont être très, très fâchés, et il aura une crise interne à gérer », prédit le chercheur.

En effet, les émetteurs industriels de l'Ontario - raffineries, cimenteries, constructeurs automobiles, etc. - sont maintenant coincés avec des droits de polluer qu'ils ont payés en tout près de 3 milliards. Il leur est impossible de les revendre, ce qui laisse entrevoir des litiges importants, selon plusieurs observateurs.

« Du point de vue de l'entreprise, ces droits sont considérés comme un actif comptable », a résumé Dave Sawyer, économiste à l'organisme EnviroEconomics.

Selon lui, les états financiers de toutes ces entreprises devront être révisés à la baisse. Certaines ont emprunté en s'appuyant sur la valeur de ces droits pour investir dans des technologies moins polluantes.

« C'est un gâchis », a dit M. Sawyer, qui avait conseillé le gouvernement ontarien lors de la mise en place du système de plafonnement et d'échange.

Keith Stewart, porte-parole de Greenpeace, entrevoit des poursuites coûteuses pour le gouvernement ontarien.

« À moins que M. Ford soit préparé à dépenser des milliards de dollars pour sortir l'Ontario du marché, certaines de ces entreprises vont intenter des poursuites », a résumé M. Stewart.

Il rappelle aussi qu'Ottawa imposera bientôt une taxe sur le carbone à toutes les provinces qui n'ont aucun programme de tarification des GES. Cette taxe s'élèvera à 50 $ la tonne en 2022, une somme beaucoup plus élevée que les quelque 19 $ qu'il fallait dépenser sur le marché du carbone lors de la dernière vente aux enchères.

Autrement dit, a estimé M. Stewart, les entreprises risquent de payer davantage pour polluer sous le gouvernement Ford qu'auparavant.

EN CHIFFRES

269

Nombre d'entreprises ontariennes qui ont acquis des droits d'émissions pour se conformer au système de plafonnement et d'échange mis en place en 2017.

2,9 milliards

Sommes investies par des entreprises ontariennes pour acquérir des droits d'émissions dans les ventes aux enchères du gouvernement depuis 2017.