Le président américain Donald Trump a peut-être exempté le Canada de l'imposition de tarifs sur l'acier et l'aluminium, mais l'incertitude n'est pas dissipée pour autant - après tout, la menace pèse toujours, puisque cette mesure est d'une durée indéterminée.

Conscient des inquiétudes qui tenaillent ces industries et leurs travailleurs, Justin Trudeau, qui avait multiplié les coups de fil au sud de la frontière avant l'annonce du locataire de la Maison-Blanche, passera une partie de la semaine en tournée pour leur témoigner de son appui.

Il entamera sa virée - qui comprend des arrêts subséquents à Hamilton et Sault-Sainte-Marie, en Ontario, ainsi qu'à Regina, en Saskatchewan - par des escales à Saguenay et à Alma, lundi.

Son homologue québécois Philippe Couillard doit l'accompagner au cours de son passage au Saguenay, selon l'horaire publié dimanche par le cabinet du premier ministre fédéral.

Dans un premier temps, les deux hommes participeront en matinée à une table ronde avec des dirigeants de l'industrie de l'aluminium qui se déroulera au Centre des technologies du Conseil national de recherche du Canada. En début d'après-midi, ils visiteront le Centre technologique AP60 de Rio Tinto pour y rencontrer les travailleurs.

M. Trudeau poursuivra son périple en se rendant ensuite à l'usine de Rio Tinto, à Alma.

La tournée vise «surtout à démontrer notre soutien aux travailleurs de l'acier et de l'aluminium», a résumé Chantal Gagnon, attachée de presse de Justin Trudeau. Car même si certains ont poussé un soupir de soulagement en apprenant l'exemption du Canada, rien n'est encore tout à fait réglé.

«C'est temporaire, et en même temps, ça ne l'est pas, a-t-elle noté en entrevue, vendredi. Il y a un lien qui est fait par les Américains avec la négociation (de l'ALENA) alors il est certain qu'on va toujours continuer à défendre nos travailleurs.»

Le ministre du Commerce international, François-Philippe Champagne, reconnaît aussi qu'il y a loin de la coupe aux lèvres. «C'était un pas dans la bonne direction (...) mais clairement, il y a encore beaucoup de travail à faire», a-t-il affirmé en conférence téléphonique depuis le Paraguay.

Le premier ministre Trudeau prévoit effectuer des visites d'usines et participer à des tables rondes avec des employeurs et des travailleurs au cours de cette tournée pour laquelle il a écourté ses vacances familiales en Floride, a tenu à spécifier son bureau.

Le président du syndicat des employés de l'usine d'Alma, Alexandre Fréchette, indique que les craintes sont réelles dans le milieu. Mais vu l'imprévisibilité de Donald Trump, il préfère les tempérer.

«On attend de voir où ça va finir avant de s'inquiéter pour rien. On fait confiance à tous les intervenants qui mettent de la pression sur le gouvernement, et au gouvernement qui met de la pression (sur les États-Unis)», a-t-il exposé en entrevue à La Presse canadienne.

Si le dirigeant syndical des Métallos «comprend qu'il y a un aspect médiatique à ces visites-là», il estime qu'elles ont leur importance, faisant «le pari que ce sont les travailleurs qui gagnent leur vie avec ça au quotidien qui peuvent faire sentir (aux politiciens) l'impact que ça peut avoir».

Le lieutenant politique du Parti conservateur au Québec, Alain Rayes, voit quant à lui dans cette «tournée partisane» la manifestation d'un triomphalisme malavisé de la part de Justin Trudeau, et il invite donc ce dernier à «se garder une petite humilité avant de festoyer».

«Ça a clairement été dit par l'administration Trump: c'est temporaire en fonction de la négociation de l'ALENA», a-t-il dit, reprochant au gouvernement de n'avoir prévu aucun montant au budget pour appuyer les secteurs qui pourraient faire les frais de la renégociation du traité tripartite.

Le président Trump a cité «la nature unique de notre relation avec le Canada et le Mexique» pour justifier le fait que les deux pays échapperaient, au moins temporairement, aux tarifs sur les importations mondiales d'acier (25 pour cent) et d'aluminium (10 pour cent).

Mais il a ensuite lié le sort des pourparlers commerciaux de l'ALENA à la pérennité de l'exemption consentie par son administration, disant avoir «l'impression» qu'il y aura entente, et que «si nous le faisons, il n'y aura pas de tarifs pour le Canada, et il n'y aura pas de tarifs pour le Mexique».

La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a malgré tout continué à présenter les deux enjeux comme étant distincts. Elle a plaidé que l'argument invoqué par Washington pour frapper les pays exportateurs de tarifs - celui de la sécurité nationale - n'avait rien à voir avec l'accord.

«La position du Canada est que ces dossiers sont complètement séparés. Nous les traitons sur deux plans complètement distincts», a-t-elle insisté en conférence de presse à Toronto, jeudi dernier, quelques heures après que Donald Trump eut laissé entendre l'inverse.

Le Canada est le principal fournisseur d'acier et d'aluminium aux États-Unis. Environ 85 pour cent des exportations canadiennes de ces deux matériaux prennent ce chemin.

L'acier et l'ALENA, deux dossiers distincts pour Freeland

Alors que les États-Unis tentent de mettre de la pression sur les négociations de l'Accord de libre-échange nord-américain, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, maintient que le Canada ne se laissera pas intimider ou bousculer par les Américains.

Chrystia Freeland termine une semaine intense qui a démarré par la septième ronde de négociations de l'ALENA où peu de progrès ont été réalisés en vue d'une entente. La semaine s'est heureusement bien terminée, le Canada et le Mexique ayant être exemptés des nouveaux tarifs douaniers américains sur les importations d'acier et d'aluminium.

La menace de tarifs douaniers sur l'acier a été perçue par plusieurs personnes comme une tentative de l'administration Trump de mettre de la pression sur le Canada et le Mexique pour ratifier rapidement l'ALENA en acceptant les exigences américaines et en abandonnant leurs propres demandes.

Une étude sur les conséquences de l'application des tarifs douaniers sur l'acier a été ouverte afin d'évaluer les impacts potentiels des importations sur la sécurité nationale des États-Unis.

Chrystia Freeland a qualifié d'absurde le fait de considérer l'acier canadien comme une menace à la sécurité nationale des États-Unis.

Elle a ajouté qu'«en ce qui concerne le Canada, il n'y a absolument aucun lien» entre les arguments de sécurité nationale cités pour les tarifs douaniers sur l'acier et l'ALENA.

«Ce sont deux voies séparées et dans la négociation sur l'ALENA, le Canada ne fera l'objet d'aucune forme de pression, a-t-elle insisté. Cet épisode n'a pas modifié notre position de négociation sur l'ALENA.»

Ces déclarations font écho à celles du ministre de l'Économie du Mexique, Ildefonso Guajardo, qui a affirmé la semaine dernière ne voir aucun lien entre les tarifs sur l'acier et les discussions sur l'ALENA.

Chrystia Freeland souligne que le décret présidentiel qui impose les tarifs douaniers ne trace pas de lien non plus avec l'ALENA. Un détail significatif, selon elle.

Le décret parle plutôt d'une économie intégrée entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, d'un engagement solidaire envers la sécurité nationale et d'une volonté de lutter contre la surproduction d'acier dans le monde.

Toutefois, le président Donald Trump a précisément mentionné l'ALENA en conférence de presse, le 8 mars.

«On négocie l'ALENA en ce moment même et nous allons suspendre les tarifs pour ces deux pays pour voir si l'on est capable de s'entendre ou non sur l'ALENA», a-t-il déclaré. Il a ajouté que la sécurité nationale représentait un élément important de la négociation et que si une entente est conclue, l'acier fera partie de l'accord.

Les discussions pour renégocier l'ALENA ont débuté il y a sept mois et les États-Unis semblent commencer à s'impatienter d'en venir à une entente. Les élections fédérales au Mexique prévues le 1er juillet et les élections du Congrès américain prévues à l'automne ajoutent à cette pression. Les mouvements à l'intérieur des gouvernements pourraient avoir un impact sur la capacité d'obtenir un accord et de le ratifier.

Au terme de la septième ronde de négociations, le représentant du commerce des États-Unis, Robert Lighthizer, a dit viser un accord d'ici quatre à six semaines. Le Canada et le Mexique ont affirmé être prêts à accélérer les discussions, mais pas au détriment d'une entente favorable à tout le monde.