La Banque mondiale jouit d'une immunité en vertu du droit international et n'aura donc pas à fournir ses éléments d'enquête à un tribunal canadien dans une cause de corruption impliquant des employés de SNC-Lavalin, a tranché la Cour suprême du Canada (CSC).

L'institution internationale, qui refusait de se soumettre à une ordonnance de communication du juge de première instance, s'était prévalue de son droit de s'adresser directement au plus haut tribunal du pays, qui lui a finalement donné raison, vendredi, dans une décision unanime.

La cause implique trois ex-employés de SNC-Lavalin, dont l'ancien cadre supérieur Kevin Wallace, qui sont accusés d'avoir comploté et versé des pots-de-vin pour décrocher le contrat d'un projet de construction d'un pont multimodal au-dessus du fleuve Padma, au Bangladesh.

L'INT, une division de la Banque mondiale qui enquête sur les allégations de corruption, avait partagé en 2011 avec la Gendarmerie royale du Canada (GRC) certains éléments d'information suggérant l'existence d'un stratagème de corruption dans l'attribution du contrat.

Sur la foi de ces renseignements, la police fédérale avait obtenu les autorisations d'écoute électronique qui ont mené au dépôt d'accusations contre les anciens employés en vertu de Loi sur la corruption d'agents publics étrangers.

Leurs avocats ont contesté la délivrance de ces autorisations d'écoute et présenté en Cour supérieure de justice de l'Ontario une demande pour contraindre des enquêteurs de la Banque mondiale à comparaître devant les tribunaux canadiens et à communiquer leurs documents.

Le juge Ian Nordheimer avait tranché en leur faveur, mais vendredi, les neuf magistrats de la CSC ont renversé sa décision: les archives et le personnel de la Banque mondiale sont inviolables, ont-ils statué dans une décision sans équivoque.

La Banque mondiale, qui est composée de cinq organes distincts, «ne jouit d'aucune immunité conférée par traité international», mais «en  revanche, les cinq organisations qui composent le Groupe se sont vu accorder des immunités par leurs 188 États membres», précise le jugement.

La CSC avait déjà déterminé, dans un arrêt remontant à 2013, que ces immunités protègent les organisations «de l'ingérence dans leurs opérations et leur programme par les États membres ou leurs tribunaux», rappellent les juges Suzanne Côté et Michael Moldaver dans la décision.

«La protection de l'ensemble des documents d'une organisation, y compris les dossiers officiels et la correspondance, est essentielle pour assurer le bon fonctionnement en toute indépendance de l'organisation», enchaînent les coauteurs du jugement.

Et le fait que l'INT a initialement partagé des informations de manière sélective ne signifie pas pour autant qu'il a complètement renoncé à son immunité, ont par ailleurs conclu les magistrats du plus haut tribunal au pays, contredisant l'interprétation du juge de première instance.

«Il a jugé que l'INT ne pouvait communiquer sélectivement les renseignements, documents et correspondance en sa possession. (...) Toutefois, la doctrine de common law de la renonciation sélective ne s'applique pas à l'interprétation d'un traité international», lit-on dans la décision.

Et c'est sans compter que, de façon plus large, «les règles du droit canadien ne prévoient pas la communication des dossiers de l'INT», relèvent les juges Côté et Moldaver.

Dans le mémoire qu'ils avaient soumis à la Cour suprême du Canada, les avocats des trois accusés avaient sévèrement critiqué l'attitude de la Banque mondiale, accusant l'organisation de manquer de respect à l'égard des tribunaux canadiens.

La décision de la CSC fait en sorte que le procès visant les trois accusés, qui avait été suspendu en attendant l'aboutissement de l'appel, reprendra son cours devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario. La date de reprise des audiences n'est pas encore connue.

La Banque mondiale, qui finançait le projet à hauteur de 1,2 milliard $ US sous forme de prêt au gouvernement bangladais, a radié en 2013 SNC-Lavalin ainsi qu'une centaine de ses filiales de tous les appels d'offres liés à des projets financés par l'institution pour les 10 prochaines années.

«La plus longue période d'exclusion jamais fixée dans un règlement de la Banque mondiale», titrait le communiqué annonçant la sanction.