Les exportateurs canadiens qui ne se sont pas protégés avec des contrats de couverture contre une poussée du dollar canadien quand il a touché 77 cents US à trois reprises au cours des six derniers mois doivent s'en mordre les doigts.

Notre monnaie a terminé la semaine hier à 89,26 cents US, en hausse 139 centièmes sur la clôture de jeudi.

Le cap des 90 cents US pour notre huard est à tire-d'aile. «Peut-être dans une semaine, laisse tomber François Barrière, vice-président développement des affaires, marchés internationaux à la Banque Laurentienne. On revient à des niveaux plus logiques: on était à parité, il y a un an et demi.»

 

En fait, précise François Bélanger, directeur marché de change chez BMO marchés des capitaux, on se rapproche du point médian entre le sommet de 110 cents US de novembre 2007 et le creux de 76,5 cents US du 9 mars. «L'économie canadienne avait été trop délestée par les cambistes. Aujourd'hui, le capital délaisse le marché américain.»

La faiblesse du billet vert explique avant tout la soudaine appréciation du huard qui a gagné plus de 10% en un mois. Presque toutes les monnaies ont gagné contre l'américaine, l'euro franchissant même le seuil psychologique de 1,40$US, même si l'économie du Vieux Continent est au moins aussi mal en point que celle des États-Unis.

Si le capital fuit les États-Unis, c'est qu'il apprécie peu la vitesse avec laquelle Washington creuse son déficit. En quatre mois, ironise M. Barrière, les États-Unis ont emprunté l'équivalent de la dette totale du Canada.

Les détenteurs de capitaux ou de réserves comme la Chine, l'Inde ou la Russie jugent qu'ils détiennent déjà assez de titres libellés en dollars américains. Ils tentent donc de diversifier leurs avoirs, mais il n'y a pas encore de vraie contrepartie.

Le désintérêt pour le billet vert a été accentué par la décision de l'agence de notation Standard & Poors de mettre la note AAA du Royaume-Uni sous surveillance avec perspective négative, compte tenu de la rapide détérioration de ses finances publiques.

Les investisseurs n'ont pas mis de temps à pousser le raisonnement de l'agence plus loin et à spéculer sur une possible décote de la dette américaine.

Dans ce contexte, le Canada fait belle figure, car la proportion de son endettement par rapport à la taille de l'économie est relativement faible, bien plus en tout cas que celle du Royaume-Uni ou des États-Unis. En outre, la dette canadienne est surtout détenue par les Canadiens, ce qui n'est pas le cas des États-Unis où les ménages recommencent à peine à découvrir les vertus de l'épargne.

La poussée présente du dollar canadien pourrait l'amener jusqu'à 95 cents US d'ici trois à six mois, croit Shaun Osborne, vice-président et cambiste en chef chez TD valeurs mobilières. «Les autorités monétaires et politiques seront peu enclines à intervenir directement pour le ralentir, mais on peut s'attendre à quelques déclarations selon lesquelles sa valeur paraît non justifiée.»

Il affirme que, dans le paysage actuel, le dollar canadien fait figure de monnaie dure (hard money) qui justifie ses niveaux des derniers jours.

Douglas Porter, économiste en chef adjoint chez BMO fait aussi remarquer qu'à la différence des États-Unis et du Royaume-Uni, nos autorités monétaires n'ont pas activé la planche à billets. Elles ont tout juste indiqué comment elles entendent s'y prendre si elles devaient recourir à cet outil non orthodoxe d'allégement monétaire.

Le problème, c'est que la poussée rapide du huard équivaut à un resserrement monétaire qui n'est pas du tout recherché.

«Le moins qu'on puisse dire, c'est que la poussée du huard rend «l'engagement conditionnel» de la Banque à garder son taux directeur près de zéro jusqu'à la mi-2010 beaucoup moins conditionnel», conclut M. Porter.