La Banque centrale européenne (BCE) pourra en principe se lancer prudemment dans l'achat de dette des pays de la zone euro, si elle le juge opportun pour contrer la déflation qui menace de s'installer.

C'est du moins l'avis qui n'a pas force de loi rendu hier par l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Un jugement définitif est attendu durant l'été.

La CJUE avait été saisie l'été dernier d'une demande de clarification par la cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe. Celle-ci jugeait que les opérations monétaires sur titres (OMT) allaient à l'encontre de la loi fondamentale du pays.

Les OMT n'ont encore jamais été utilisées, bien qu'annoncées en 2012 par la BCE pour dégonfler les coûts d'emprunt de certains pays membres de la zone, coûts qui menaçaient de faire éclater la monnaie commune.

Depuis l'été toutefois, leur recours prochain est de plus en plus évoqué.

La BCE a épuisé tout son arsenal conventionnel: elle a déjà abaissé son taux directeur à 0,05% et fait payer les banques qui lui confient en dépôts leurs réserves excédentaires.

La BCE cherche avant tout à stimuler le crédit aux ménages et aux entreprises afin de relancer la croissance. Presque en vain jusqu'ici.

Certes, l'automne dernier, la zone euro a évité de justesse de sombrer une troisième fois en récession depuis 2008. Toutefois, la faible reprise n'a pas empêché le ralentissement continu de l'inflation que la BCE a pour mandat d'orienter à un taux légèrement sous la barre des 2%.

En novembre, le taux annuel n'était plus que de 0,3%. L'effondrement des prix des carburants l'a fait passer à - 0,2% en décembre. Hors énergie, le taux d'inflation reste néanmoins très faible à 0,6%.

La baisse du prix de l'essence est positive dans la mesure où elle augmente à court terme le pouvoir d'achat et diminue les coûts de production des entreprises.

Une faible inflation (près de 2%) stimule davantage puisqu'elle incite à réaliser ses achats maintenant, de peur de payer plus cher plus tard.

La déflation agit à l'inverse; elle incite à retarder ses achats dans l'espoir que les prix baissent davantage, ce qui réduit la production... et les prix. C'est un cercle vicieux difficile à briser, comme l'a montré l'expérience japonaise.

Voilà pourquoi le recours aux OMT est de plus en plus évoqué. Le président de la BCE, Mario Draghi, répète que l'institution de Francfort faillirait à son mandat de maîtrise de l'inflation si la chute des prix observée en décembre devait perdurer.

Maints observateurs et spéculateurs parient sur le lancement dès jeudi prochain d'un programme de détente quantitative (DQ) que d'aucuns jugent identique aux OMT.

Ce n'est pourtant pas le cas. La DQ ne vise pas à diminuer les coûts d'emprunt des pays qui n'arrivent pas à vendre leurs dettes sur les marchés financiers. Elle vise à stimuler la croissance en activant en principe la planche à billets, ce à quoi l'Allemagne s'est toujours opposée.

M. Draghi pourrait contourner la difficulté en achetant de la dette souveraine sur le marché secondaire. Ce sont les institutions financières européennes qui détiennent en grande partie la dette de leur pays, ce qui a pour effet de fragiliser la capitalisation de celles dont les États sont mal notés par les agences de crédit. En les allégeant de ce poids, la BCE souhaite qu'elles soient davantage disposées à prêter.

L'Allemagne s'opposera toujours à ce que la BCE monétise directement une partie de la dette des pays de la zone euro en achetant directement de nouvelles obligations, comme l'a fait par exemple la Réserve fédérale américaine.

Selon les règles actuelles, les pays incapables de se financer sur les marchés obligataires doivent plutôt utiliser le Mécanisme européen de stabilisation, présidé par l'Allemand Klaus Regling. Le MES est doté d'une cagnotte de 700 milliards d'euros disponibles en contrepartie de réformes structurelles difficiles à vendre politiquement.

En fait foi ce qui se passe en Grèce présentement. Au pays du bouzouki, le gouvernement a dû déclencher des élections qui auront lieu le 25 janvier - soit 3 jours après la réunion des gouverneurs de la BCE - devant le tollé provoqué par les mesures imposées par la BCE, l'Union européenne et le Fonds monétaire international, en échange d'un refinancement de la dette grecque.

Le parti de gauche Syriza, qui s'engage à renégocier les conditions de son remboursement, mène dans les sondages, ce qui suscite de vives inquiétudes au pays d'Angela Merkel. Entre-temps, Athènes doit consentir un taux de quelque 10% si elle veut emprunter pour une période de 10 ans. (Au Canada, c'est moins de 1,5%; en Allemagne, moins de 0,5%.)

Bref, si la CJUE appuie le principe des OMT, M. Draghi et son équipe devront les utiliser avec la plus grande circonspection.