Pour contrer sa stagnation économique, l'Inde a lancé au début des années 90 plusieurs initiatives de libéralisation de son économie jusque-là semi-socialiste.

S'ensuivit une poussée de croissance soutenue, qui a donné naissance à quelques géants mondiaux tels Infosys, Mittal ou le Groupe Tata, à une formidable confiance des Indiens en l'avenir et à un choc entre conservatisme séculaire et modernité occidentale.

Ce sont ces bouleversements qui ont poussé Akash Kapur à revenir en 2003 à Pondichéry, lieu de sa naissance, après une dizaine d'années passées à Harvard et à New York.

Il venait y poursuivre une carrière de consultant tout en désirant témoigner des changements qui se déroulaient sous ses yeux.

«Plus je passais de temps en Inde, plus je voyais qu'elle serait obligée de payer sa prospérité au prix fort: sa nouvelle richesse s'accompagnait de nouvelles formes d'inégalité, et sa liberté et les opportunités offertes à chacun avaient aussi pour corollaire le désordre et la violence», écrit-il d'entrée en jeu.

Son fort bel essai L'Inde de demain. Les Indiens face à la mondialisation n'a rien de l'exposé aride regorgeant de statistiques pour appuyer telle ou telle thèse.

On le lit avec le même plaisir qu'on regarde un documentaire.

Kapur suit une dizaine de personnages réels pendant autant d'années, raconte leurs efforts pour s'adapter ou résister aux mutations qui transforment leur milieu.

Nous faisons ainsi la connaissance de Sathy, chef d'une famille de propriétaires terriens qui voit avec nostalgie son monde s'effilocher. Même sa femme Banu a décidé d'élever leurs enfants à Pondichéry et d'y lancer sa petite entreprise, plus prometteuse que la rente de son mari.

Nous suivons Hari, de la caste des Intouchables, qui s'extirpe de la pauvreté et de la chape de plomb familiale pour vivre son homosexualité, en multipliant les emplois en informatique, les nuits folles, la surconsommation et la déprime.

Kapur nous présente aussi Veena, une femme brillante acquise à la culture occidentale, qui réussit bien sa carrière de gestionnaire, multiplie les conquêtes amoureuses, mais qui sera atteinte d'un cancer du côlon. Cela l'amènera à lancer sa boîte de gestion, moins accaparante, à prendre mari et à fonder une famille.

À l'opposé, Selvi a obéi à son père qui lui a imposé mari et vie à la campagne.

Nous rencontrons aussi Ramadas, courtier en vaches, qui tentera vainement sa chance dans la spéculation immobilière.

Son exemple reflète bien les changements profonds de la société indienne. Les jeunes urbains ne sont plus végétariens. La vache n'a plus rien de sacré à leurs yeux. Ils mangent de sa viande. Les troupeaux prennent la route de l'abattoir après avoir été vendus aux enchères par des gens comme Ramadas.

«Dans l'histoire de Ramadas, on retrouvait la quintessence de l'histoire de l'Inde: celle du déclin et du renouveau, de la destruction et de la réinvention», résume Kapur.

Les champs sont lotis, les tamariniers centenaires ou des cocotiers abattus pour élargir les routes, des terres naguère cultivées transformées en décharges publiques.

Tout cela se déroule sous les yeux de Kapur, qui prend conscience des progrès de l'individualisme, de l'américanisation au point où même la boutique Lacoste, symbole de la présence française à Pondichéry, a dû fermer ses portes.

L'auteur manifeste son inquiétude quand il voit ses enfants souffrir des émanations de dioxines et de furanes venant des tonnes de détritus que la ville n'arrive pas à traiter.

«Pris ensemble, les dégâts écologiques coûtaient au pays environ 4% de son produit intérieur brut (soit le montant, à peu près, qu'il consacrait annuellement à l'éducation ou à la santé)», écrit Kapur, qui cite là une statistique pour une rare fois.

L'auteur a choisi néanmoins de rester en Inde, même après des vacances passées en famille à New York. «Je veux croire que nous verrons un jour les colossaux mouvements de la modernisation de ce pays parvenir à une forme ou une autre d'équilibre.»

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AKASH KAPUR. L'Inde de demain. Les Indiens face à la mondialisation, Albin Michel, 395 pages.