Les gens qui sont prêts à déménager pour un nouvel emploi ont une meilleure carrière. Et cette équation est appelée à se vérifier davantage. Telle est la conclusion d'un économiste italien qui enseigne à l'Université de Berkeley, Enrico Moretti.

Le plus récent livre de M. Moretti, The New Geography of Jobs, est sorti au moment même où le gouvernement Harper propose des changements à l'assurance-emploi qui inciteront certains chômeurs à accepter des emplois situés jusqu'à 100 km de leur lieu de résidence. L'économiste propose des modifications encore plus radicales.

«La propension à se déraciner est une composante essentielle de la prospérité des États-Unis et du Canada, explique M. Moretti en entrevue téléphonique. Mais ceux qui sont le plus susceptibles de déménager sont ceux qui ont un diplôme universitaire. Il faut trouver un moyen d'inciter les autres à déménager pour trouver un emploi. Souvent, ils ne le font pas parce qu'ils ne disposent pas du capital nécessaire pour s'installer dans une nouvelle ville, particulièrement s'ils ont une famille. Les programmes d'assurance-chômage devraient prévoir une bonification des prestations pour ceux qui déménagent.»

Le gouvernement Harper, lui, coupe les vivres à ceux qui n'accepteront pas de déménager. «C'est peut-être un incitatif, mais ça ne règle pas la question de l'investissement nécessaire pour un déménagement», observe M. Moretti.

Prêts à payer plus cher

Le lien entre déménagement et carrière sera de plus en plus important. «Les diplômés universitaires se concentrent de plus en plus dans les villes où la croissance économique est importante, dit l'économiste milanais. Ils augmentent le niveau de vie de tout le monde, parce qu'ils sont prêts à payer plus cher pour des services, pour leur plombier, leurs gardiennes, leurs coiffeurs, leurs restaurants.»

Une demi-douzaine d'économistes canadiens consultés par La Presse confirment le lien. «D'un point de vue économique, si un chômeur ne déménage pas alors que ça lui permettrait de trouver un emploi, c'est un gaspillage de ressources, explique Lars Osberg, économiste à l'Université Dalhousie. Mais est-ce qu'on veut vraiment que l'objectif de la politique de l'emploi au Canada soit de déménager les gens de Chicoutimi à Fort McMurray pour qu'ils travaillent dans les sables bitumineux?»

Enrico Moretti lui-même concède qu'il est possible que pour les travailleurs qui ont des revenus modestes, le gain de salaire dans une ville ayant un moins bon taux de chômage ne compense pas la perte des réseaux sociaux. «Quand on a sa famille à proximité, on évite parfois de devoir payer une gardienne», dit M. Moretti.

L'absence de filet social n'augmente pas nécessairement la mobilité. «Dans une étude de 1996, j'ai montré que la présence de la péréquation et des bonifications régionales de l'assurance-emploi ne diminue pas la propension des Canadiens à déménager en cas de hausse du taux de chômage dans une région», dit John Helliwell, économiste de l'Université de Colombie-Britannique.

Au Québec

Qu'en est-il du Québec? L'héritage des coureurs des bois, des bûcherons et des ouvriers de la Manic semble s'être perdu. «Les Québécois ne déménagent pas assez», estime Ross Finnie, un économiste de l'Université d'Ottawa qui a étudié les migrations entre provinces pour Statistique Canada.

Les déménagements à l'intérieur du Québec compensent peut-être cette hésitation à quitter la Belle Province. Serge Coulombe, collègue de M. Finnie à l'Université d'Ottawa, a entrevu l'an dernier des chiffres de la Banque du Canada sur les déménagements intraprovinciaux qui laissent penser que les Québécois ne déménagent pas moins que les autres Canadiens. La Banque du Canada, qui a présenté hier ses résultats au congrès annuel de l'Association canadienne des économistes, a refusé de les partager avec La Presse.

Les différences du taux de chômage entre des régions adjacentes au Québec sont certainement appréciables. Au premier trimestre, par exemple, il était de 4,9% en Chaudière-Appalaches et de 8,9% au Centre-du-Québec.

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PLUS DE DÉMÉNAGEMENTS

Nombre de Québécois qui ont changé de région au Québec

1991-1996: 580 000

1996-2001: 681 000

Source: Bilan démographique du Québec 2002

LE QUÉBEC ET LES AUTRES PROVINCES

Proportion des habitants de 20 à 54 ans qui ont déménagé dans une autre province entre 1992 et 2004:

Québec: 2,2%

Reste du canada: 5,1%

Ontario: 2,9%

Alberta: 7,2%

Source: Statistique Canada

DANS LA MÊME PROVINCE

Canadiens ayant déménagé dans la même ville en 2006: 22%

Canadiens ayant déménagé dans une autre ville d'une même province en 2006: 12%

Canadiens ayant déménagé dans une autre province en 2006: 3%

Source: Statistique Canada

IMPACT DU CHÔMAGE SUR LA POPULATION

0,7% Quand le taux de chômage d'une province est 50% plus élevé que la moyenne nationale, elle perd 0,7% de sa population chaque année à cause de déménagements dans une autre province.

Source: Journal canadien d'économie, 1996