Si l'industrie du médicament novateur bat de l'aile, c'est avant tout au Québec que les répercussions se font sentir. Le pôle pharmaceutique dont la province s'est dotée à coups de millions encaisse depuis cinq ans une série de chocs. Au total, 2000 emplois de pointe ont été abolis au cours de cette période. Une saignée qui pourrait entraîner l'effritement d'une expertise chèrement acquise si la tendance devait ne pas être renversée.

Selon Marc-André Gagnon, professeur adjoint à l'École d'administration et de politiques publiques de l'Université Carleton, le panier de mesures offertes par le Québec «est de loin le plus généreux du Canada, et un des meilleurs au monde».

Aux crédits d'impôt offerts à l'industrie pour sa recherche, le Québec accorde aussi un congé fiscal aux chercheurs étrangers venus s'établir ici. Deux mesures auxquelles s'ajoute la «règle de 15 ans».

Cette politique, unique au Québec, confère une protection supplémentaire d'environ cinq années aux médicaments d'origine brevetés. En termes clairs, elle contraint le Régime d'assurance médicament du Québec (RAMQ) à rembourser les médicaments d'origine sur une période de 15 années, et ce même si des médicaments génériques moins coûteux sont disponibles sur le marché.

«Une belle faveur» que le Québec fait à l'industrie, explique Marc-André Gagnon.

Mais le hic, c'est que le coût de cette règle explose depuis six ans. En 2011, on l'estimait à 193 millions, contre 25 millions en 2005. Une observation qui fait en sorte que plusieurs doutent de sa rentabilité pour l'État québécois, d'autant plus qu'on avait estimé en 2005 qu'elle générait à elle seule des revenus équivalents à 37 millions pour le Québec.

Selon Mélanie Bourassa Forcier, professeure de droit pharmaceutique à l'Université de Sherbrooke, il faudra réévaluer le coût de cette mesure avant de penser l'abolir. «Il y a énormément de médicaments qui vont voir leur brevet expirer au cours des prochaines années (au Québec). Les derniers chiffres qui sont sortis laissent penser que les coûts de la règle de 15 ans pourraient donc descendre», précise-t-elle.

Vague de coupures et de fermetures

Malgré la présence de son incitatif qui le distingue des autres provinces canadiennes, le Québec assiste depuis cinq ans à une dégradation de son pôle des sciences de la vie. Aux fermetures entraînées par les pharmas, il faut aussi compter des pertes d'emplois multiples dans le secteur des biotechnologies.

«Dans l'ensemble, ça donne un très mauvais signal pour le développement de l'industrie en général, incluant le développement des entreprises de biotechnologies, indique Mario Lebrun, directeur général de BioQuébec. Ça lance le message que le Québec perd de sa compétitivité sur le plan de la viabilité d'un vrai pôle de recherche.»

Après l'abolition de 800 emplois en 2011, puis de 358 en l'espace d'un mois en 2012, comment pourrait-on voir la tendance se renverser?

Russell Williams, président de Rx&D, explique que la donne a changé dans le monde des pharmas. Selon lui, le retrait des investissements en recherche au pays, et particulièrement au Québec, s'explique en partie par un «contexte de concurrence féroce pour attirer l'investissement pharmaceutique».

Selon lui, si «les environnements scientifique et fiscal» pesaient lourd dans la balance lorsque venait le temps d'investir dans un pays ou un autre, des critères relatifs à la propriété intellectuelle, à l'homologation et au remboursement des médicaments sont venus les surpasser.

Un secteur à transformer

Alors, quoi faire pour conserver une expertise bâtie à coup d'années d'études et d'heures à traîner dans les laboratoires?

Selon Michelle Savoie, directrice générale de Montréal InVivo, l'industrie doit se recentrer sur des projets porteurs comme celui du Consortium québécois sur la découverte du médicament (CQDM). Cet organisme, doté d'une enveloppe de plusieurs millions, permet aux pharmas d'investir directement dans des projets universitaires. «C'est un modèle où les entreprises partagent les risquent», précise Michelle Savoie.

Michel Bouvier, chercheur principal à l'Institut de recherche en immunologie et en cancérologie (IRIC) pousse la pensée encore plus loin et suggère que le Québec se dote d'une entreprise nationale de recherche. «Les multinationales ont leur place, c'est sûr, mais est-ce qu'on ne devrait pas se donner les moyens d'avoir plus de contrôle sur nos activités de recherche? Il faut vraiment réfléchir très sérieusement à comment on fait pour pouvoir être innovant dans le nouveau modèle des pharmas, parce que si on ne le fait pas, on va perdre une opportunité de maintenir un créneau de valeur ajoutée.»