Trop élevé? Ou encore raisonnable? Le niveau de dette des ménages canadiens divise les analystes et économistes comme rarement auparavant.

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Selon l'agence de notation de crédit Moody's, l'endettement des ménages canadiens serait rendu à un niveau tellement élevé qu'il risque d'affecter les prochains résultats des grandes banques, en cas de détérioration de l'économie.

Dans une note diffusée hier, Moody's estime que l'endettement des Canadiens rendu au niveau record de 150% de leur revenu disponible - comparativement à 138% chez les Américains - pose désormais un «risque de crédit négatif» sur le secteur bancaire au Canada.

En particulier chez les banques CIBC et Nationale, souligne Moody's, parce que 50% de leurs revenus totaux proviennent des activités auprès des consommateurs et des entreprises.

«Ça nous inquiète que les Canadiens se fient tant sur les bas taux d'intérêt pour soutenir leur dette élevée. Or, la qualité du crédit et les résultats des banques canadiennes dépendent de la santé financière des consommateurs canadiens», indiquent les analystes David Beattie et William Burn, du bureau de Moody's à Toronto.

Toutefois, cet avertissement de Moody's est tempéré par des notes sur l'endettement des ménages publiées aussi hier par des économistes bancaires.

Selon Matthieu Arseneau, économiste à la Banque Nationale, il est erroné de comparer le niveau d'endettement des ménages tel que mesuré par Statistique Canada avec celui provenant des autorités américaines.

Pourquoi? Parce que la mesure américaine du revenu disponible - l'un des deux facteurs du ratio d'endettement - exclut les dépenses de santé que les Américains doivent payer directement.

Or, ces dépenses sont rendues à 18,5% du revenu disponible des Américains, ce qui représente une ponction importante et le plus souvent inévitable dans leur budget. En comparaison, les Canadiens ne consacrent que 5,5% de leur revenu disponible aux dépenses de santé.

La majeure partie de ces coûts est assumée par les gouvernements provinciaux et fédéral à même les impôts des Canadiens, évidemment plus élevés qu'aux États-Unis.

C'est l'essentiel de l'impact économique du «filet social» qui est plus élaboré de ce côté-ci de la frontière, souligne l'économiste Matthieu Arseneau.

Et quand on ajuste en conséquence le revenu disponible après impôt des Canadiens et des Américains, on se retrouve avec un ratio d'endettement des ménages au Canada inférieur de 12% à celui de leurs voisins américains.

Un tel ajustement tempère aussi grandement les comparaisons de l'endettement des ménages canadiens parmi leurs semblables dans les autres pays de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), selon l'économiste de la Banque Nationale.

Par ailleurs, selon Benjamin Tal, économiste à la Banque CIBC, le débat sur le niveau d'endettement des ménages canadiens fait souvent abstraction de deux facteurs dilutifs, qui sont pourtant significatifs. D'une part, souligne M. Tal dans un billet distribué hier, la croissance du niveau d'endettement des Canadiens est en net ralentissement depuis deux ans.

En excluant leur créance hypothécaire, qui est liée à un actif tangible et essentiel, l'endettement des Canadiens croît maintenant au rythme le plus lent en deux décennies, soit le début des années 90.

D'autre part, souligne M. Tal, le taux d'épargne des ménages canadiens demeure au double de son niveau précédant la crise financière de 2008 et la récession de 2009. Le taux de faillite personnelle au Canada est aussi en nette régression depuis deux ans. «Les consommateurs canadiens continuent de profiter des coûts d'emprunt historiquement bas, mais de façon réaliste. Le ralentissement des dépenses de consommation est déjà en cours, ce qui augure d'une croissance économique modérée, mais mieux balancée à moyen terme», commente l'économiste de la Banque CIBC.

Quant à l'impact d'une éventuelle détérioration du crédit aux consommateurs sur les banques canadiennes, l'agence Moody's reconnaît que ces dernières demeurent en bien meilleure posture pour y faire face en comparaison de leurs semblables dans les autres économies développées.