Le prix des aliments a explosé depuis cinq ans et rien n'indique qu'il baissera bientôt, a estimé hier John Baffes, économiste de la Banque mondiale en matière d'agriculture, tandis qu'un nouveau rapport de l'ONU prédisait des prix «soutenus et instables» jusqu'à l'an prochain.

Les manchettes qui parlent de la «fin de la nourriture bon marché» ne sont pas exagérées, a indiqué M. Baffes, qui participait à une table ronde sur la crise alimentaire à la Conférence de Montréal, hier. Car tout est en place pour que les prix restent élevés.

«Les prix ne vont peut-être pas poursuivre leur ascension, mais je ne pense pas qu'on va les voir redescendre avant un bout de temps», a-t-il indiqué au cours d'un point de presse.

Depuis le début de 2006, le cours du riz a presque doublé, grimpant de 78%. Celui du maïs a bondi de 134% et le soya a crû de 136%. Quant au blé, il se vend deux fois et demie plus cher qu'il y a cinq ans: une explosion de 252%. Cette poussée est survenue après des années de lent déclin des prix alimentaires.

«C'est un alignement des planètes parfait («a perfect storm»), a indiqué M. Baffes. De 5 à 10 facteurs sont réunis pour une poussée du prix des denrées, une poussée beaucoup plus soutenue que celles de l'après-guerre et du choc pétrolier des années 70.»

L'énergie en hausse

Au cours de sa présentation, M. Baffes a souligné que les coûts de l'énergie connaissent une hausse fulgurante depuis quelques années, une progression intimement liée à celle des aliments. Le pétrole permet d'alimenter les tracteurs et les entrepôts des agriculteurs. On s'en sert pour produire de l'engrais et pour transporter les produits une fois récoltés. S'il coûte plus cher, donc, c'est toute la chaîne de production alimentaire qui s'en ressent.

À cela s'ajoute la production d'éthanol, qui a canalisé une partie de la production agricole vers la production de combustibles plutôt que d'aliments. Les changements climatiques ont causé de l'incertitude face aux récoltes. Et certains pays ont aussi voulu protéger leurs citoyens contre les effets de la crise en fermant leurs frontières aux produits étrangers. Ces politiques ont toutefois eu des effets pervers, dit M. Baffes, car en maintenant les prix bas, il est devenu moins intéressant pour les producteurs d'investir afin d'améliorer leur productivité.

Enfin, dit M. Baffes, les sommes investies par des fonds privés dans l'agriculture ont été sept fois plus élevées entre 2006 et 2010 qu'au début de la dernière décennie. L'effet de cette spéculation est incertain, mais plusieurs investisseurs gagnent à ce que les prix des aliments restent élevés.

La hausse du prix des aliments représente déjà un casse-tête pour certaines entreprises québécoises. Les Industries Lassonde, qui produisent notamment les jus Oasis et les bouillons Canton, doivent réviser leurs prix, leurs recettes et innover pour offrir de nouveaux produits.

«Le consommateur, il y a une limite à ce qu'il est prêt à payer, a indiqué le président de l'entreprise, Jean Gattuso, qui participait à la discussion d'hier. À un moment, il bifurque vers autre chose. Il y a toujours d'autres solutions. Regardez dans un supermarché combien de produits sont proposés aux consommateurs.»

Des prix «soutenus et instables»

Dans un rapport publié hier, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) prévoit que les prix des denrées alimentaires resteront «soutenus et instables» d'ici au début de 2012. Deux facteurs sont montrés du doigt pour expliquer le problème: la diminution des stocks alimentaires et la faible augmentation de la production.

«La situation générale est tendue en ce qui concerne les cultures agricoles et les denrées alimentaires de base, a affirmé David Hallam, expert de l'organisation. La persistance des niveaux élevés des cours mondiaux représente une menace pour de nombreux pays à faible revenu et à déficit vivrier.»

On estime qu'environ 1 milliard d'humains souffrent de la faim. Il y en avait entre 800 et 900 millions avant la flambée des prix alimentaires.

Avec Agence France-Presse