Tout a commencé une journée de février dernier dans le vestiaire du Club Mansfield. Après son entraînement, Alain Tascan discute avec son voisin de casier, Leonard Schlemm.

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L'ancien grand patron d'Electronic Arts à Montréal jongle avec quelques offres de la Californie pour diriger un studio de jeu vidéo. Mais après avoir travaillé pour les autres au cours des deux dernières décennies, Alain Tascan, Français de 43 ans établi à Montréal depuis 1997, caresse le rêve d'ouvrir son propre studio dans sa ville d'adoption. «Tiens-moi au courant avant de décider quoi que ce soit», lui dit Leonard Schlemm, son voisin de casier, mais aussi le propriétaire du Club Mansfield.

Trois mois plus tard, cette discussion de vestiaire a mené à la création du dernier studio de jeu vidéo à Montréal. SAVA Transmédia, qui emploiera jusqu'à 200 personnes en 2016, produira des jeux vidéo sur quatre plateformes: réseaux sociaux, jeux en ligne, tablettes électroniques et téléphones portables. Mais pas de jeux pour les consoles - une coupure nette avec l'ancienne vie d'Alain Tascan, qui a quitté son poste chez Electronic Arts après sept ans en novembre dernier.

«Je voulais me remettre en danger, me retrouver dans une situation excitante, dit Alain Tascan. L'avenir est brillant pour cette industrie (le jeu vidéo social et en ligne) qui n'existait pas il y a trois ans. Je respecte beaucoup le jeu classique, sauf que l'amélioration y est marginale. Maintenant, les jeux sociaux rejoignent une population différente et plus importante. Quand on est un entrepreneur en divertissement, on se dit qu'il y a là quelque chose à faire qui est excitant.»

«On peut sortir un jeu social plus facilement et l'investissement est moins important», dit son nouvel associé Leonard Schlemm, propriétaire de la chaîne de 800 centres d'entraînement 24 Hour Fitness, mais néophyte en jeu vidéo. «La clé, c'est investir avec des gens qui, comme Alain, savent ce qu'ils font», dit M. Schlemm, qui pourrait faire profiter SAVA Transmédia de ses nombreux contacts dans le monde du sport.

Non seulement Alain Tascan sait-il ce qu'il fait, mais il a les coudées franches. Chez SAVA, il est «rêveur en chef», PDG et actionnaire majoritaire de l'entreprise, dont le nom est un clin d'oeil à l'expression «ça va». «C'est probablement le mot qu'on prononce le plus souvent en français dans nos conversations sociales», dit-il.

Des jeux d'ici 18 mois

SAVA Transmédia lancera ses premiers jeux d'ici 12 à 18 mois. Son siège social occupe 10 000 pieds carrés dans l'édifice Balfour, boulevard Saint-Laurent, en face du cinéma eXcentris au centre-ville de Montréal. Son conseil d'administration sera présidé par François de Gaspé Beaubien, président de Zoom Média dont la famille détenait l'ex-groupe de presse Télémédia (Elle Québec, TV Hebdo, CKAC). Parmi ses actionnaires minoritaires: Vanedge Capital, firme d'investissement privée dirigée par Paul Lee, ancien président d'Electronic Arts. Sheldon Elman et Stuart Elman sont aussi actionnaires.

Le total de l'investissement n'a pas été dévoilé hier lors du lancement de SAVA Transmédia au Musée des beaux-arts de Montréal. Fait à noter: l'événement réunissait plusieurs directeurs de studios concurrents, dont Martin Carrier (Warner), Stéphane D'Astous (Eidos), André Lauzon (EA Mobile) et Alexandre Thabet (Ludia). La preuve, selon Alain Tascan, qu'il est possible pour les studios de cohabiter dans l'écosystème du jeu vidéo montréalais.

Avec des effectifs estimés à 220 employés en 2016, SAVA Transmédia a l'ambition de devenir le deuxième studio indépendant à Montréal, derrière le studio Behavior de Rémi Racine et ses 360 employés. Tous les autres grands studios montréalais sont détenus par des intérêts étrangers. «On s'est dit que sur les 10 gros studios à Montréal, 90% sont à propriété et financement étrangers, et environ 10% à 20% seulement font des jeux sociaux. Il y avait là une occasion pour un groupe canadien et québécois», dit Alain Tascan.

Pour l'heure, SAVA Transmédia compte embaucher 50 personnes, notamment grâce au crédit d'impôt québécois de 37,5% sur la main-d'oeuvre en jeu vidéo. «C'est toujours plaisant d'assister à la naissance d'une entreprise, mais il y a des pères de famille plus prolifiques que d'autres. M. Tascan était aussi là lors des débuts d'Ubisoft et d'Electronic Arts à Montréal», dit le ministre québécois des Finances, Raymond Bachand, qui a assisté au lancement de SAVA Transmédia.

S'il regarde vers l'avenir, le héros du jour n'a pu s'empêcher de se remémorer quelques souvenirs hier en accouchant de son nouveau bébé. Il y a 17 ans presque jour pour jour, Alain Tascan débarquait à l'aéroport de Mirabel avec comme mission d'aider à créer Ubisoft Montréal, aujourd'hui le plus important studio de jeu vidéo du monde occidental. «C'était loin, Mirabel!», se rappelle-t-il.

Outre un bref séjour à New York, Alain Tascan a passé les 17 dernières années de sa vie au Québec, qui lui a «tout donné professionnellement». En fondant SAVA Transmédia, il a voulu acquitter sa dette envers sa terre d'adoption. «Je voulais redonner au Québec à ma façon, dit-il. Dans la vie, il y a un moment où il faut faire des choix. Il y en a qui achètent de grosses motos, d'autres vont dans les Caraïbes. Moi, je veux bâtir du divertissement à Montréal.»