Dans plusieurs décennies, les cinéphiles de certaines régions du Québec remercieront peut-être la crise du crédit pour avoir - bien involontairement - sauvé leurs salles de cinéma.

C'est que depuis le début des années 2000, les studios hollywoodiens veulent signer l'arrêt de mort de la bobine de 35 millimètres inventée par Thomas Edison en 1892 - et la remplacer par la technologie numérique. Leur scénario était sur le point de se réaliser avant que la crise du crédit ne frappe l'économie américaine.

 

Faute de financement, l'idée de laisser tomber le 35 millimètres a été abandonnée - pour l'instant. Un dénouement accueilli avec soulagement par plusieurs petits exploitants de salles de cinéma dans les régions du Québec, dont la survie est menacée par cette révolution technologique. «La crise a calmé le jeu, reconnaît Diane Lemieux, vice-présidente au développement des affaires de Vision Globale, une entreprise spécialisée dans la technologie numérique. Il y avait un énorme rouleau compresseur qui venait d'Hollywood. Les gens se sont calmés et on continue de présenter des films 35 millimètres.»

Pourquoi les bonzes des studios hollywoodiens tiennent-ils tant au numérique? Cette technologie est supérieure à la bobine d'Edison et donne l'option de présenter des films en trois dimensions (3D), mais elle est surtout séduisante au plan financier. Les studios estiment dépenser 600 millions de dollars chaque année en bobines. D'où leur idée de remplacer une bobine de film qui coûte 1500$ par un disque dur numérique à 150$.

Les propriétaires de salles trouvent l'idée moins séduisante financièrement: ce sont eux qui devront payer les coûts de la technologie numérique, estimée à 25 000$ (150 000$ en ajoutant la technologie 3D) par salle. Devant cette impasse, les studios ont proposé de financer la conversion à hauteur de 1000$ par film numérique présenté en salle. Selon ce montage financier, une salle numérique devrait normalement se payer d'elle-même au maximum en sept ans - la durée de vie de l'équipement.

Les studios ont ainsi mandaté des intermédiaires - des intégrateurs - afin de négocier avec des groupes de propriétaires. En Amérique du Nord, deux groupes étaient sur le point de conclure une entente - Cinema Buying Group (8000 écrans) et Digital Cinema Implementation Partners (14 000 écrans) - quand la crise du crédit est venue bousiller leurs plans. «On était à deux semaines de conclure l'entente», dit le président de l'Association des propriétaires de cinémas et de ciné-parcs du Québec, Marcel Venne, dont les Cinémas RGFM auraient accepté la proposition de Cinema Buying Group.

Certains propriétaires québécois ne sont pas fâchés de la tournure des événements. «Les studios veulent payer pour la technologie, mais ils veulent ensuite te dire quoi faire avec tes écrans», dit Vincent Guzzo, vice-président des Cinémas Guzzo.

Le Québec compte actuellement 40 salles numériques sur 800 écrans. De ce nombre, les Cinémas Guzzo en comptent 15 et Cinéplex Divertissement, 11. L'équipement numérique a été payé par les propriétaires de salles, sans l'aide des studios.

Des négociations sont toutefois en cours entre les propriétaires de cinémas et Vision Globale, qui veut agir comme intégrateur. L'entreprise québécoise se dit prête à financer l'arrivée de 250 nouveaux écrans numériques sur cinq ans grâce aux subventions des studios et aux prêts des gouvernements.

Les propriétaires de salles ne sont pas tous optimistes à propos de l'arrivée du numérique dans leurs cinémas. «Ils sont habitués avec le 35 millimètres qui existe depuis 100 ans, dit Diane Lemieux, l'ancienne ministre péquiste aujourd'hui vice-présidente chez Vision Globale. S'il y a un problème, ils peuvent le régler sur-le-champ et ça ne paraît presque pas. La technologie numérique est beaucoup plus complexe.»

S'ils veulent survivre, les propriétaires récalcitrants n'auront éventuellement pas le choix de se soumettre aux volontés numériques d'Hollywood. Actuellement, 90% des films sont disponibles en 35 millimètres. Diane Lemieux estime que la proportion ne sera plus que de 50% au début de l'année 2011. Dans ce contexte, l'issue des négociations entre Vision Globale et les propriétaires de cinémas pourrait être déterminante pour la survie de plusieurs cinémas en région. «Beaucoup de petits complexes n'ont pas les moyens de financer seuls leur passage au numérique, dit Diane Lemieux. Et le jour où il n'y aura plus de films en 35 millimètres, ces cinémas-là mourront.»

Son vis-à-vis à la table des négociations, Marcel Venne, est encore plus pessimiste. Le représentant des propriétaires de cinémas compare même l'arrivée du cinéma numérique à celle du cinéma parlant. «On oublie que 25% des cinémas ont fermé aux États-Unis quand le cinéma parlant a remplacé le cinéma muet, dit-il. Ces cinémas ne pouvaient se payer la nouvelle technologie.»

Grâce à la crise du crédit, les cinémas des régions du Québec éviteront peut-être le même sort.

LES FILMS DE L'ANNÉE

Recettes au box-office (Canada et États-Unis) (en millions de dollars américains)

2009 Monsters vs Aliens 187

2008 The Dark Knight (Batman) 533

2007 Spider-Man 3 337

2006 Pirates des Caraïbes 3 423

2005 Star Wars : La revanche des Siths 380

2004 Shrek 2 441

2003 Lord of the Rings 3 (Le retour du roi) 377

2002 Spider-Man 1 403

2001 Harry Potter 1 (La pierre philosophale) 317

2000 Le grincheux 260

1999 Star Wars : La menace fantôme 431

1998 Il faut sauver le soldat Ryan 217

1997 Titanic 601

1996 Independance Day 306

1995 Histoire de jouets 1 (Toy Story) 192

1994 Forrest Gump 330

1993 Parc jurassique 1 357

1992 Aladin 217

1991 Terminator 2 205

1990 Maman, j'ai raté l'avion! 286

1989 Batman 1 251

1988 Rain Main 173

1987 Three Men and a Baby 168

1986 Top Gun 177

1985 Retour vers le futur 1 211

1984 Le flic de Beverly Hills 1 235

1983 Star Wars : Le retour du jedi 253

1982 E.T. 435

1981 Raiders of the Lost Ark 242

1980 Star Wars : L'empire contre-attaque 290

Notes : Les revenus de Monsters vs. Aliens sont en date du mardi 19 mai 2009.

Sources : www.boxofficemojo.com, Wikipédia.