L'affaire Bernard Madoff est arrivée à la fin de l'année 2008 comme la cerise empoisonnée sur un gâteau toxique. Une fraude de 50 milliards commise à l'endroit de grandes banques, de richards discrets et de célébrités friquées.

L'affaire Bernard Madoff est arrivée à la fin de l'année 2008 comme la cerise empoisonnée sur un gâteau toxique. Une fraude de 50 milliards commise à l'endroit de grandes banques, de richards discrets et de célébrités friquées.

Durant quelques jours en décembre, l'aspect crapuleux du scandale Madoff a eu la capacité de créer dans le public un plus grand dégoût que l'effrayante crise financière qui a marqué la deuxième moitié de 2008. Une crise financière ellemême causée par une succession de bricolages boursiers qui semblent maintenant imprudents et non éthiques.

«Avec toutes les fraudes et les affaires qu'on a vues depuis 10 ans, il y a sûrement un risque que la classe moyenne se détourne de la Bourse pour une génération» a dit à La Presse le militant boursier Yves Michaud, quelques jours avant sa retraite du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires.

«Ce que j'entends de beaucoup de membres du Médac, c'est qu'on va aller vers des obligations garanties par le gouvernement. Ils vont se réfugier dans des valeurs sûres et encaisser des intérêts de 4 ou 5%.»

En fait, 2008 marque la fin d'une décennie des pourris, où des scandales successifs -Cinar, WorldCom, Enron, Adelphia, Norbourg- ont été causés par la cupidité des financiers et la faiblesse des organismes de surveillance des marchés, estime M. Michaud.

C'est M. Michaud qui, en 2005, avait donné à Norbourg le surnom de «petit Enron du Québec». Pour lui, la fraude Madoff est «un Norbourg multiplié par 1000». Et les deux montrent, selon lui, que les autorités boursières du monde entier n'ont pas assez de pouvoirs.

Les baby-boomers, qui ont beaucoup joué à la Bourse, vont y penser à deux fois avant de parier à nouveau: «Il y a des gens qui disent que dans un an, les gens vont revenir à la Bourse, mais je ne crois pas, a dit M. Michaud. Je pense que ça va être plus long que ça. Sans compter les pertes qu'on va voir dans les caisses de retraite, au fur et à mesure qu'elles seront annoncées.»

Selon M. Michaud, les 10 dernières années ont été exceptionnelles en ce qui a trait au nombre et à l'ampleur des fraudes et malversations boursières de toutes sortes.

Et si les scandales boursiers et comptables de la dernière décade ne sont pas directement liés à la crise financière, il reste que c'est le même laisser-faire des autorités boursières qui a permis toutes sortes de «dérives», comme le papier commercial adossé à des actifs (PCAA) et la titrisation des hypothèques à haut risque aux États-Unis.

Ces «dérives», sans nécessairement être frauduleuses, ont été extrêmement dommageables pour l'économie, les investisseurs et la population en général, note le militant à la retraite.

Selon lui, c'est seulement l'État -par des lois plus punitives et des organismes boursiers plus musclés - qui peut protéger les investisseurs et les marchés financiers contre «la culture de voracité» qui a sévi depuis 10 ans.

Voici donc quelques scandales et pourris qui ont marqué la décennie.

1998: LONG-TERM CAPITAL MANAGEMENT

Commençons par la déroute de ce hedge fund américain où travaillaient deux Prix Nobel d'économie, Myron Scholes et Robert Merton. L'échec de LTCM n'avait rien de frauduleux, mais il montra dès 1998 les risques que faisait courir au système financier international l'usage excessif des produits dérivés par une seule firme.

Après avoir inscrit des profits de plus de 40% à ses premières années, LTCM prit des risques de plus en plus grands et se fit prendre avec des positions désastreuses par la crise financière russe, en 1998. LTCM devint insolvable parce que ses prêteurs exigèrent leur argent durant cette crise de liquidités mondiales.

L'insolvabilité de LTCM obligea la Réserve fédérale américaine à orchestrer un sauvetage de 3,6 milliards de dollars US. La Réserve tordit le bras à 15 banques d'affaires américaines et européennes, qui crachèrent entre 50 millions et 300 millions chacune. Ces 3,6 milliards de 1998 étaient une fortune. Mais c'était un amuse-gueule, comparé au plan de sauvetage de 700 milliards concocté en 2008 par la Réserve fédérale et destiné aux institutions financières américaines.

L'échec de LTCM était annonciateur parce qu'on s'est aperçu que ses dirigeants, tous de brillants ingénieurs financiers, jouaient à l'apprenti sorcier avec des instruments financiers complexes utilisant un effet de levier considérable.

C'est avec le même esprit aventureux que les bollés de Wall Street ont concocté les produits financiers de plus en plus abstraits qui ont mené à la titrisation des subprimes américaines et à la crise financière actuelle.

1999-2000: CINAR

Le scandale Cinar a commencé en 1999 quand le scénariste Claude Robinson a mis au jour un scandale de plagiat, de prête-noms et de fraude fiscale chez le producteur montréalais d'émissions pour enfants.

En mars 2000, les deux patrons fondateurs de l'entreprise, Micheline Charest et Ronald Weinberg, démissionnèrent quand un rapport comptable révéla que 122 millions de dollars appartenant à Cinar avaient été investis aux Bahamas sans l'approbation du conseil d'administration.

L'action de Cinar avait plongé et la firme était déjà l'objet de recours collectifs de la part de ses actionnaires américains. Au Québec, un dossier semblable était en préparation par l'association fondée par Yves Michaud.

Aucune accusation ne fut déposée mais Cinar accepta de rembourser 21 millions de dollars aux autorités fiscales fédérale et provinciale. En 2001, Mme Charest et M. Weinberg acceptèrent de payer 1 million chacun à la Commission des valeurs mobilières du Québec, pour mettre fin -sans admission de faute- à une enquête.

Un déluge de poursuites civiles furent abandonnées ou réglées à l'amiable, sauf une. Un procès pour plagiat se déroule toujours à Montréal, intenté par Claude Robinson contre Cinar et une dizaine de firmes et personnes liées.

2001: ENRON

Durant des années, Enron avait été considérée comme un authentique «blue chip» américain, un grossiste en énergie qui semblait une machine à profit. Pourtant, il fallut seulement un mois et demi entre la publication de ses résultats trimestriels du 16 octobre 2001 et sa déclaration de faillite, le 2 décembre 2001.

C'est dans ses trimestriels du 16 octobre que Enron commença à avouer ses irrégularités comptables. La firme retrancha de 586 millions des profits nets qu'elle avait faussement déclarés depuis 1997, ajouta des centaines de millions en dette non déclarée et déclara non fiables ses états financiers annuels de 1997 à 2000.

L'action passa de 90$ (son sommet en août 2000) à quelques sous et des dizaines de milliers d'investisseurs perdirent des milliards de dollars.

Enron avait maquillé ses résultats financiers en utilisant des "entités spéciales " offshore qu'elle contrôlait. Une grande partie des profits et revenus qu'elle déclarait venait de transactions fictives concoctées avec ces entités situées dans des paradis fiscaux, qui avaient comme noms Chewco, LJM et Raptor. Des jeux d'écriture comptable avaient permis à la direction d'Enron de parquer dans ces entités des dettes substantielles -et des pertes- qui auraient dû être comptabilisées dans Enron.

Les patrons d'Enron, Jeff Skilling, Andy Fastow et Ken Lay, avaient le doigt dans l'engrenage. Chaque trimestre, ils devaient redoubler d'imagination pour créer l'illusion d'une firme rentable, alors qu'elle saignait des millions. Gonfler les revenus d'Enron pompait sa valeur en Bourse; les patrons en profitaient pour vendre leurs actions.

2002: ADELPHIA COMMUNICATIONS

L'exploitant de câble et de téléphonie interurbaine Adelphia a déclaré faillite en 2002 à la suite d'une affaire de corruption et d'appropriation illégale de ses revenus par la famille Rigas, qui dirigeait la firme.

Il y a un parallèle avec Enron, puisque Adelphia a révélé, peu avant sa faillite, une dette de 2,3 milliards qui n'avait jamais apparu dans les états financiers. Par ailleurs, les procès pénaux intentés par la Securities and Exchange Commission ont montré qu'un système comptable avait été mis en place pour faire des ponctions de millions de dollars, qui aboutissaient à des firmes appartenant à la famille Rigas.

Une phrase de l'acte d'accusation est devenue célèbre et a été réutilisée dans d'autres causes semblables par la suite: elle accusait la famille d'avoir "utilisé Adelphia comme leur tirelire en forme de cochon personnelle ". John et Timothy Rigas ont été condamnés.

2002-2003: WORLDCOM

WorldCom met en vedette un Albertain flamboyant, Bernie Ebbers, qui purge actuellement une peine de prison de 25 ans à Oakdale, en Louisiane. Une fois condamné, il s'y est rendu lui-même au volant de sa Mercedes.

C'est la plus lourde peine infligée aux États-Unis à la suite des scandales financiers des années 90.

Durant les années 90, Bernie Ebbers a lancé WorldCom et a fait une série d'acquisitions de grandes télécoms (dont MSF et MCI) à coups de milliards... payés en actions de WorldCom.

Mais l'action de WorldCom était du vent: en juin 2002, deux mois après la démission d'Ebbers, WorldCom a avoué avoir fait des inscriptions comptables gonflées de 4 milliards (l'enquête a fini par faire grimper ce chiffre à 11 milliards).

En 2005, Bernie Ebbers a été déclaré coupable de multiples accusations de fraudes boursières.

WorldCom, qui a fait une faillite de 41 milliards, a frappé l'imagination du public à cause du royaume foncier que s'était payé Ebbers. Le «Cowboy des télécoms» avait acheté à Douglas Lake, en Colombie-Britannique, le plus grand ranch (2000 km2) au Canada; une plantation de 80 km2 en Louisiane; de vastes terres à bois, une scierie, un domaine agricole, neuf hôtels, une compagnie de camionnage et un chantier maritime pour yachts de luxe dans le sud des États-Unis. En bon millionnaire canadien, il avait aussi acheté une équipe de hockey mineur... au Mississippi.

2002-2003: NORTEL

Nortel aussi a eu des problèmes avec sa comptabilité. Après divers déboires en 2002, Nortel annonçait un retour à la rentabilité en 2003, sous la conduite de son nouveau président, Frank Dunn.

Mais le fleuron canadien de l'équipement internet a annoncé plus tard en 2003 une révision à la baisse de ses résultats financiers et une hausse du passif.

Il y eut une longue révision interne, suivie d'une autre révision de la comptabilité qui affecta les états financiers publiés de 1998 à 2000. Nortel finit par imputer à des dates ultérieures des revenus totalisant 3 milliards et des dirigeants remboursèrent leurs primes à la performance.

Frank Dunn et deux autres cadres furent congédiés en 2004 et la GRC déposa en juin 2008 des accusations de fraude contre eux (ils ont plaidé non coupable).

Aux États-Unis, des accusations civiles furent portées par la Securities and Exchange Commission en rapport avec la comptabilité de Nortel, mais elles furent réglées sans admission de faute en 2007. La société accepta de verser 35 millions de dollars et consentit à être enjointe de ne pas enfreindre les règlements antifraude de la loi américaine sur les valeurs mobilières.

2005... à 2010 ? NORBOURG

Que dire de plus sur Norbourg ? L'arnaque nationale du Québec -un détournement de 130 millions de dollars - a fait couler plus d'encre par jour que le Bye Bye 2008, mais pendant un an et demi! Et ce n'est pas fini: le procès pour fraude, au criminel, doit commencer en septembre prochain.

Et le président de Norbourg, Vincent Lacroix, est devenu un personnage public inédit dans la culture populaire québécoise, un fraudeur sans scrupule ni remords, qui aimait encore mieux les courbes siliconées des danseuses de Chez Parée que la courbe de croissance gonflée des fonds communs qu'il siphonnait à coups de millions.

Le cas archiconnu de Norbourg lui a valu une sentence record de huit ans pour ses infractions à la Loi des valeurs mobilières du Québec. Le procès de l'automne prochain implique Vincent Lacroix et six autres accusés. À moins que tout ce beau monde plaide coupable, le procès sera long.

2005... à 2015? MOUNT REAL

N'oublions pas non plus les accusations pénales récentes contre les dirigeants de Mount Real, une firme québécoise dans laquelle des investisseurs ont perdu 130 millions de dollars.

Les procès pénaux et civils de l'affaire Mount Real ne sont même pas commencés.

Ayons aussi une bonne pensée pour les 80 millions évaporés dans des paradis fiscaux par les dirigeants de Focus Management et Ivest Fund. Pour ces affaires, il y a des procès civils en cours, mais les enquêtes de l'AMF et de la GRC ne sont pas terminées. Ces deux fonds maintenant en faillite furent distribués illégalement au Québec par le groupe Triglobal, de Montréal, allègue l'AMF, qui a fermé la firme en 2007.