Un petit procès à Laval est en train de dévoiler ce qui a toutes les allures d'un autre scandale financier impliquant des paradis fiscaux.

Un petit procès à Laval est en train de dévoiler ce qui a toutes les allures d'un autre scandale financier impliquant des paradis fiscaux.

Depuis quatre ans, des dizaines de clients d'un fonds off- shore sont incapables de se faire rembourser. Leur investissement oscillerait entre 10 et 20 millions de dollars, selon l'un des témoins du procès.

L'affaire concerne ultimement un fonds de la Barbade appelé Opus Trust, devenu plus tard Bridge Management. Ce fonds a comme représentant le Montréalais Sebastian Mecca, qui fait l'objet de trois poursuites au Québec dans cette affaire, totalisant 800 000$.

Le 20 juin avait lieu l'interrogatoire fort attendu de M. Mecca au palais de justice de Laval dans le cadre de l'une des poursuites, celle de Carole Pharand. La dame réclame 50 000$ plus les intérêts impayés depuis 2003, soit une somme globale de 85 000$. Elle demande cette somme à M. Mecca et à Opus/Bridge, mais également à celui qui lui a vendu le fonds, Frank Mastrocola.

Le fonds Opus/Bridge a été offert aux investisseurs québécois à partir de 1999, a-t-on appris. L'imbroglio a pris naissance en 2004, semble-t-il, lorsqu'un grand nombre d'investisseurs ont demandé à être remboursés en même temps (1,5 million de dollars).

À Laval, le témoignage de Sebastian Mecca a été marqué par la confusion et de curieuses coïncidences. À quelques reprises, le juge Jacques Fournier s'est montré sceptique. «En 2004, la raison des remboursements massifs était légitime (pour expliquer le problème). Mais après 2006, à l'échéance, il n'y a plus d'excuse. Alors où est l'argent?», a-t-il dit.

Sebastian Mecca affirme que Bridge est sur le point de tout rembourser. Deux jours avant son témoignage, une lettre de Bridge a d'ailleurs été transmise, promettant un remboursement. «Depuis combien de temps disent-ils que le chèque est à la poste? Trois ans? Pourquoi devrait-on les croire?» a dit le juge.

Le juge Fournier a suggéré que les problèmes de liquidités pouvaient être issus d'une forme de «kiting», un procédé considéré comme frauduleux dans le milieu financier. «Les gens de Bridge ont pensé qu'à l'expiration, d'autres gens allaient investir et qu'alors, ils pourraient rembourser les vieux investisseurs. Quand ce marché secondaire a tombé, il n'y avait plus d'argent. Est-ce cela?» a demandé le juge.

«Je ne pense pas. L'argent est là», a dit M. Mecca.

Sebastian Mecca affirme qu'il n'était qu'un agent de Opus/Bridge pour le Québec, sans plus. Il soutient qu'il ne faisait que transmettre les documents, mais qu'il ne vendait pas le produit. Ce travail lui rapportait 3000$ par mois à partir de 1999. Opus/Bridge offrait aux investisseurs entre 9,5 et 15% de rendement, a dit M. Mecca durant son témoignage.

Sebastian Mecca dit être devenu agent de Opus/Bridge après avoir fait un voyage aux Bahamas en 1997 pour y acheter une propriété. Il y a rencontré un certain Roy Bouchier, qui lui aurait parlé du fonds. Il a lui-même investi 75 000$ le 1er janvier 1999, comme Frank Mastrocola.

En 1998, c'est par hasard que Sebastian Mecca aurait rencontré, à Montréal, le gestionnaire du fonds Opus/Bridge, Andrew Murray. La rencontre aurait eu lieu dans les bureaux de la firme d'avocats Mendelsohn Rosentzveig Shacter. Il y a été question des traités fiscaux internationaux, a-t-il dit.

Une coïncidence

C'est également une coïncidence si l'avocat fiscaliste Serge Racine, qui avait été son avocat dans d'autres dossiers, a été mandaté par Opus puis par Bridge pour des questions fiscales. Selon un document produit en cour, Serge Racine apparaît, en 2000, comme l'avocat du fonds Opus. Dans un deuxième document daté de mars 2001, et signé de sa main, Serge Racine donne une «opinion légale» sur la façon de structurer le fonds Bridge Management (Barbados) pour minimiser les impacts fiscaux.

Serge Racine, qui travaille dans les bureaux de Séguin Racine, de Laval, n'était pas joignable au moment de mettre sous presse. Toutefois, en janvier dernier, il avait déclaré à La Presse savoir peu de chose du fonds Opus. Entre autres, il avait dit ne pas être au courant qu'il s'agissait d'un fonds outre-mer.

Un autre document semble indiquer que Sebastian Mecca est plus qu'un simple agent du fonds Opus/Bridge. En juin 2002, c'est son fils Ian François Mecca qui, devant un tribunal de la Barbade, apparaît comme le représentant officiel de Bridge Management dans une injonction contre une tierce entreprise.

Cette ordonnance de gel des actifs est faite à l'encontre de l'entreprise Crystal on Track, de la Barbade, pour une valeur maximale de 4 millions US, selon le document. En Cour, Sebastian Mecca a affirmé qu'il n'était pas au courant de cette injonction, ni de l'implication de son fils dans Bridge.

Gilles Latulippe, Francine Grimaldi

Crystal on Track commence à être plutôt connue des Québécois. C'est cette entreprise qui a fait perdre des millions de dollars à des personnalités, notamment le comédien Gilles Latulippe, la journaliste Francine Grimaldi et l'homme d'affaires Placide Poulin (ex-propriétaire de MAAX).

L'argent de Crystal a notamment été englouti dans une société d'aviation en démarrage de Montréal qui a fermé ses portes en 2001 à la suite de difficultés financières. Crystal a comme fondé de pouvoir le financier Luc Verville, selon des documents que nous avons obtenus.

Bridge et Crystal on Track portent la même adresse à la Barbade, soit le 2002, Worthy Down, Graeme Hall, Christ Church. Des photos de l'endroit révèlent qu'il s'agit d'un très modeste plain-pied, qualifié dans une poursuite de «siège d'affaires douteux.»

En cour, Sebastian Mecca a affirmé que le fonds Opus avait en 2000 une trentaine de clients et un actif sous gestion de 5 millions, puis de quelque 20 millions en 2003. Aucun prospectus n'a été émis par les autorités pour ce fonds.

Le financier soutient qu'entre 10 et 20 millions devraient être récupérés prochainement, argent qui viendrait d'une banque suisse.

Au moment de mettre sous presse, Ian François Mecca n'avait pas rappelé. L'automne dernier, au cours d'un entretien avec La Presse Affaires, il disait n'avoir qu'une vague connaissance de Bridge Management.