Un jour, peut-être, un comptable de chez KPMG ou PriceWaterhouseCoopers devra se résoudre à laisser son complet-cravate à la maison. À Kalimantan, là où il ira, il n'en aura pas besoin.

Un jour, peut-être, un comptable de chez KPMG ou PriceWaterhouseCoopers devra se résoudre à laisser son complet-cravate à la maison. À Kalimantan, là où il ira, il n'en aura pas besoin.

Après avoir atterri à Banjarmassin, dans l'île de Bornéo, il devra rouler jusqu'à Kuala Kapuas, une ville du bout du monde où, le soir, le ciel se remplit de milliers d'oiseaux.

De là, il continuera son voyage sur ce qui fait encore office de routes dans ce coin de pays: les rivières.

En naviguant sur les eaux brunes du fleuve Kapuas, il atteindra Mantanai, un village où il pourra se rassasier d'une soupe au poisson avant de prendre place dans une pirogue motorisée.

Il s'engouffrera alors dans les canaux de drainage creusés jadis sous les ordres de Suharto au coeur du Mega Rice Project - une vaste tentative de faire pousser du riz qui s'est transformée en catastrophe écologique.

Dans ce labyrinthe, il devra s'en remettre aux connaissances de son pilote. Et lorsque celui-ci bifurquera soudain dans de petits chenaux à peine assez larges pour faire passer le bateau, il aura intérêt à mettre le vieux casque de moto qu'on lui tend et d'en abaisser la visière: les branches claquent d'autant plus sec qu'on les percute rapidement.

Après trois heures de ce régime, les jambes seront sûrement ankylosées; les pieds, peut-être trempés s'il a essuyé une averse tropicale.

Mais il sera arrivé au camp de Wetlands International à Kalimantan Centre et pourra commencer son travail: vérifier l'exactitude des chiffres que Frans, grand maigre moitié dayak, moitié maluku, inscrit dans son carnet.

Ces chiffres décrivent les conditions du marécage dans lequel le camp est planté - niveau d'eau, température, quantité de précipitations. Ils servent à calculer le nombre de tonnes de carbone que les efforts de restauration du groupe ont permis de sauver.

Ils devront être exacts. Parce que ces tonnes de carbone seront ensuite vendues sur le marché mondial. Ça voudra dire que l'économie de la préservation est en marche.

Rendez-vous en PapouasieL'économie de la destruction contre l'économie de la préservation. En Indonésie, la première a une solide longueur d'avance, en grande partie à cause de l'industrie de l'huile de palme qui s'y développe à toute vapeur.

Constamment à la recherche de nouvelles terres, les entreprises poussent leur développement dans les îles de plus en plus reculées de cet immense archipel qu'est l'Indonésie.

Benny Allan est ministre de l'Environnement du pays voisin, la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il voit venir la machine.

«Nous sommes les prochains, a-t-il dit à La Presse Affaires. Cette industrie n'est pas en croissance. Elle est en pleine explosion.»

C'est dans ce pays que la rencontre des deux économies de la forêt pourrait se produire avec le plus de vigueur.

«Il va y avoir une certaine confrontation, admet M. Allan. Nous avons des gens qui disent: voici des zones protégées, vous ne pouvez pas planter de palmiers. Je crois que les compagnies vont réagir.»

Le discours de M. Allan illustre bien ce qui déterminera l'issue de cette «confrontation»: l'argent.

«Nous avons besoin de couper des arbres parce que nous avons besoin d'argent pour développer notre pays, dit-il. Si on arrête de couper des arbres, on doit obtenir quelque chose en retour.»