L'Europe ne trinquera pas à la santé du Canada durant le temps des Fêtes.

L'Europe ne trinquera pas à la santé du Canada durant le temps des Fêtes.

L'Union européenne s'apprête plutôt à livrer une guerre commerciale au Canada, qui a réduit ses droits d'accise (un impôt caché sur certains produits) sur la bière et le vin canadiens.

Bruxelles contestera les nouvelles mesures fiscales du gouvernement Harper devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Une guérilla juridique qui pourrait bien durer deux ans, estime Me Simon Potter, spécialiste en droit du commerce international chez McCarthy Tétreault.

Depuis le 1er juillet 2006, Ottawa a réduit les droits d'accise des producteurs canadiens de bière et de vin, qui réalisent des économies de 2,30 $ sur une caisse de 24 bouteilles de bière (sur les 2000 premiers hectolitres seulement) et de 46,5 cents sur une bouteille de vin de 750 ml. Seuls le vin et la bière fabriqués entièrement au Canada sont admissibles à cette réduction fiscale, qui coûtera 28 millions de dollars par année au Trésor fédéral.

Bruxelles a exprimé une première fois sa dissidence le 29 novembre dernier en demandant la tenue de consultations à l'OMC. Le Vieux Continent a trois arguments dans sa manche.

Il allège notamment que les mesures fiscales du gouvernement Harper sont discriminatoires en vertu du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce).

La partie n'est pas gagnée d'avance, juge Me Potter. «Le GATT permet explicitement des subventions intérieures, dit-il. Dans le cas de la bière, le but des mesures fiscales est d'aider les microbrasseurs canadiens. Cet argument est plus faible dans le cas du vin, car il n'y a pas de seuil limite pour profiter de la réduction des droits d'accise. Le Canada peut quand même prétendre que tous les producteurs peuvent profiter des mesures fiscales s'ils se servent exclusivement de raisins canadiens.»

La contre-attaque du Canada

Me Potter prévoit une contre-attaque du Canada, qui pourrait contester à son tour certaines règles commerciales en vigueur en Europe.

«Il n'y a rien de plus hypocrite que le commerce international, dit-il. Il est à prévoir que le Canada va faire une plainte contre l'Europe. Le Canada a déjà agi de cette façon par le passé, notamment avec le Brésil en matière de subventions au secteur aéronautique. Le but, c'est de montrer à l'autre pays qu'il a aussi quelque chose à perdre et qu'il vaut mieux négocier.»

Porter plainte

«Certaines personnes au Canada vont certainement penser à l'idée de porter plainte contre l'Europe. Ce serait une position beaucoup plus confortable en cour, d'autant plus que l'Europe a des règles particulières d'accès au marché. Si la plainte de l'Europe va plus loin, je prévois qu'on se dirigera vers une plainte mutuelle. »

Le ministre du commerce international, David Emerson, n'a pas voulu commenter la possibilité d'une plainte du Canada contre le Vieux Continent.

«Cette idée n'a pas encore été discutée, dit Jennifer Chu, attachée de presse du ministre. Nous préférons nous concentrer sur le processus de consultation actuellement en cours avec l'Union européenne.»

Les deux parties doivent commencer les consultations, d'une durée de 60 jours, avant le 29 décembre, à moins de s'entendre sur une date ultérieure.

Les nouvelles mesures fiscales du gouvernement Harper font partie du projet de loi C-28, actuellement en deuxième lecture à la Chambre des communes. Le projet de loi prévoit l'abolition des droits d'accise sur le vin produit au Canada à partir de raisins canadiens.

Quant aux brasseurs canadiens, ils profitent d'une réduction de 90 % des droits d'accise sur les 2000 premiers hectolitres de bière produits au Canada. La réduction diminue progressivement pour atteindre 15 % au 75 000e hectolitre. Si elles sont adoptées, les modifications à la Loi sur l'accise seront rétroactives au 1er juillet 2006.

En 2005, l'Union européenne a exporté au Canada pour 664 millions de dollars de vin et pour 164 millions de bière.

Selon le ministère des Finances du Canada, l'industrie des boissons alcoolisées représente 15 000 emplois au pays. En 2003, le Canada a produit pour 4,2 milliards de dollars de bière et 2 milliards de vin. Il a exporté pour 332 millions de bière et 62 millions de vin.

Selon Affaires étrangères et Commerce international Canada, la bière et le vin étrangers occupent respectivement 10 % et 66 % du marché canadien. En 10 ans, les ventes de bière étrangère ont augmenté de 320 %. Celles de vin étranger ont fait un bond de 136 % pendant la même période.