Lorsqu'un investisseur dénonce son courtier pour fraude, il s'attend à se faire poser quelques questions par les autorités durant l'enquête. Il s'attend aussi à être contre-interrogé une fois que les autorités auront entendu la version du courtier. Dans le pire des cas, il s'attend à être avisé si sa plainte est rejetée, avec quelques explications.

Lorsqu'un investisseur dénonce son courtier pour fraude, il s'attend à se faire poser quelques questions par les autorités durant l'enquête. Il s'attend aussi à être contre-interrogé une fois que les autorités auront entendu la version du courtier. Dans le pire des cas, il s'attend à être avisé si sa plainte est rejetée, avec quelques explications.

Or, La Presse Affaires est en face d'un dossier où aucun de ces énoncés n'a été suivi par l'Autorité des marchés financiers (AMF). Pire, lorsque La Presse s'est intéressée à cette plainte, au début de décembre, l'AMF nous a transmis des informations erronées.

Le dossier est celui du plombier que nous avons appelé Benjamin Falardeau. Son histoire a été rapportée dans le journal du 13 décembre («Le client numéro 158»). Cet investisseur de la Rive-Sud dit avoir été victime des courtiers Marc Beaudoin et Marc Beauchamp, à la fin des années 90.

Les deux conseillers en placement l'auraient incité à investir 336 400 $ aux Bahamas à l'insu du fisc. «Surtout pas de chèques, lui aurait-on dit, seulement de l'argent liquide.»

Le plombier les accuse également d'avoir investi les deux tiers de son argent en Bourse dans des actions à haut risque sans son consentement, ce qui lui a fait perdre 150 000 $. Le courtier Marc Beaudoin est l'ex-partenaire d'affaires de Martin Tremblay, coupable de blanchiment d'argent à New York.

Pour raconter son histoire, le plombier a demandé à La Presse de modifier son nom, mais accepté qu'on utilise sa vraie identité pour vérifier ses dires.

Benjamin Falardeau a porté plainte à l'AMF en décembre 2003, avec promesse de faire traiter son dossier «dans les meilleurs délais». Il est resté pratiquement sans nouvelles depuis trois ans, outre les minces renseignements obtenus de l'AMF par un détective qu'il avait engagé.

La Presse a contacté l'AMF au début de décembre avant de publier l'histoire de M. Falardeau. Le porte-parole, Frédéric Alberro, avait alors affirmé que le dossier était «suivi avec beaucoup de sérieux» et qu'on examinait «la possibilité d'intenter des poursuites».

Or, une fois l'histoire publiée, le 13 décembre, l'AMF est revenue sur ses déclarations. Frédéric Alberro a plutôt indiqué à La Presse que le dossier était fermé depuis février dernier. L'AMF a décidé de ne pas sévir contre les courtiers Marc Beaudoin et Marc Beauchamp, faute de preuves.

«Nous ne pouvons pas agir contre un représentant sans avoir de faits probants et démontrables devant le juge. On ne peut agir seulement sur des allégations. Il n'y a eu aucune infraction à la Loi sur les valeurs mobilières», a dit M. Alberro.

Falardeau avait présenté à l'AMF les six reçus signés par Marc Beaudoin ou Marc Beauchamp attestant des 336400$ comptant qu'il leur a versés. Il a également fourni les états de compte démontrant que les deux tiers de son argent avaient été investis dans des titres hautement spéculatifs, lui qui connaît très peu la Bourse.

C'est sans compter que Marc Beaudoin a été congédié de Merrill Lynch en 1998 parce qu'il lessivait les fonds de certains clients, nous a dit son ancien patron, Jean-Pierre Janson.

L'AMF dit ne pouvoir donner de détails sur une enquête s'il n'y a pas de poursuites. Après une semaine de questions et de sous-questions transmises par courriel à M. Alberro, La Presse a pu avoir une idée des raisons possibles du rejet.

D'abord, il n'est pas illégal pour un courtier de recevoir de l'argent liquide d'un client. Il n'est pas davantage illégal d'inciter ses clients à investir dans des paradis fiscaux.

Et que dire de l'achat de titres très risqués? De tels placements respectaient-ils le formulaire d'ouverture de compte rempli avec le courtier? Impossible de le savoir. Au fait, pourquoi M. Falardeau n'a-t-il pas été avisé du rejet de sa plainte?

«Le dossier n'était pas fermé administrativement. Nous n'avons pas d'obligations de répondre au plaignant, mais nous allons le faire éventuellement», dit M. Alberro.