Après avoir défrayé la manchette au Québec dans les années 90, Laurent " Larry " Barnabé a disparu de la circulation. Comme le rapportait le journaliste Denis Arcand dans la première partie de ce reportage publié hier, le promoteur revient dans l'actualité. En février prochain, il devra répondre à des accusations criminelles devant un tribunal fédéral aux États-Unis.

Après avoir défrayé la manchette au Québec dans les années 90, Laurent " Larry " Barnabé a disparu de la circulation. Comme le rapportait le journaliste Denis Arcand dans la première partie de ce reportage publié hier, le promoteur revient dans l'actualité. En février prochain, il devra répondre à des accusations criminelles devant un tribunal fédéral aux États-Unis.

Voici la deuxième et dernière partie de ce reportage.

Larry Barnabé, qui a 66 ans, s'est fait reprocher bien des choses durant sa longue et colorée carrière. Mais personne ne l'a jamais accusé de manquer d'imagination.

Ce promoteur infatigable et créatif, qui a été condamné autant au Québec qu'en Ontario pour ses infractions aux lois sur les valeurs mobilières, était durant les années 80 et 90 au centre d'un réseau de distribution de faux abris fiscaux en recherche et développement.

Certains de ces faux projets de recherche étaient carrément farfelus; on peut s'imaginer le climat d'impunité et de bonne humeur qui avait cours quand ils ont été couchés sur papier... et quand il ont été autorisés par le fisc comme abris fiscaux.

Certains ont continué d'être vendus au public alors même que les commissions des valeurs mobilières du Québec et de l'Ontario faisaient enquête.

Des centaines d'investisseurs ont fini par perdre des millions de dollars quand Revenu Canada a jugé que les " projets de recherche et développement " concoctés par M. Barnabé et d'autres promoteurs étaient de la frime. Les contribuables qui avaient investi à partir de 1989 dans ces généreux abris fiscaux ont été collectés de nouveau par le fisc, en masse, à partir de 1991.

Les gens qui, encore aujourd'hui, poursuivent M. Barnabé et d'autres promoteurs pour leurs pertes dans ces abris fiscaux avaient notamment investi dans une entreprise vouée, apparemment, à aider les chevreuils à s'engager avec succès dans un coït productif.

En effet, la société A.G.R.O. prétendait travailler à un projet de recherche sur un " prototype de technologie bi-sensorielle et un procédé d'étude de changements hormonaux saisonniers de gestation afin d'obtenir une meilleure adaptation reproductive des chevreuils rouges de l'hémisphère sud au Canada ".

D'autres projets étaient aussi fumeux, comme celui visant à mettre au point un " aérostat à articulations multiples ". Sans compter de nombreux projets rédigés dans un charabia informatique hilarant, comme celui de la société P.O.R.T., visant la " mise au point d'un système d'accès aux données optiques pour le support du développement de logiciels avancés dans le domaine de l'éducation et de la formation dans le cadre d'un environnement de portabilité logicielle ".

Ce qui n'est pas drôle, disent les investisseurs, c'est que ces projets avaient la sanction d'abris fiscaux de Revenu Canada et de Revenu Québec. L'avocat des investisseurs, Me Pierre Sylvestre, a donc récemment demandé à une juge l'autorisation d'inclure Revenu Canada et Revenu Québec parmi les intimés de poursuites civiles.

" Le nom de M. Barnabé ne se retrouve pas dans tous les projets bidons qui ont été proposés aux investisseurs, mais c'est lui qui a eu l'idée et qui a formé beaucoup d'élèves qui ont continué après lui ", affirme Me Sylvestre, qui poursuit aussi, notamment, Alain Lebel, le " bras droit " de M. Barnabé, ainsi que Daniel Barnabé, son fils.

Me Sylvestre affirme que ses clients ont perdu plus de 100 millions de dollars dans des stratagèmes signés ou inspirés par Laurent Barnabé et ses associés. " Il y a une filiation dans ces projets qui remonte à M. Barnabé. "

" Pire que Norbourg "

" Cette affaire est pire que Norbourg, des petites gens ont perdu leurs maisons, leurs économies, leur santé; certains se sont suicidés. Mais personne ne parle de ces familles qui ont tout perdu ", déplore Me Sylvestre.

Durant les années 90, la Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ) a multiplié les actions contre les firmes liées à M. Barnabé: enquêtes, perquisitions, mises en garde au public, interdictions de transactions, etc. La firme de M. Barnabé a changé de nom et a continué, avec le promoteur Barnabé dans l'ombre, selon des documents déposés en cour dans une des poursuites civiles liées à cette affaire.

Après sept années d'enquête, au printemps 1999, la CVMQ a fini par accuser Laurent Barnabé d'avoir organisé des placements sans prospectus. Elle a déposé 15 chefs d'accusation et réclamé 15 amendes de 5000 $, soit 10 fois la peine minimale prévue par la loi, invoquant que " l'accusé a agi à titre de principal promoteur du placement, mettant sur pied une structure complexe (...); ses actes ont occasionné des pertes pour les épargnants ".

Six mois plus tard, en décembre 1999, la CVMQ a retiré 13 des 15 accusations et M. Barnabé a plaidé coupable à seulement deux chefs d'accusation. Il a aussi écopé... de la peine minimale, soit deux amendes de 500 $ plus 200 $ de frais.

D'autres personnes ont été condamnées à des accusations similaires, mais ces sentences n'ont rien fait pour l'impression déjà rapportée dans les journaux que la CVMQ avait " accouché d'une souris ".

L'avocat de Laurent Barnabé dans cette affaire pénale, Me Stéphane Poulin, de Québec, n'a pu être joint.

En 1995, M. Barnabé a aussi été condamné à payer une amende de 24 999 $ par la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario, pour un seul chef d'accusation, en vertu exactement de la même infraction. Son fils Daniel et son bras droit, Alain Lebel, ont aussi été condamnés chacun à une amende du même montant. Trois firmes liées à M. Barnabé, Kimex, Globex et BV&A, avaient aussi été condamnées à payer des amendes totalisant 1 million de dollars, selon un communiqué de la CVMO déposé en cour par la poursuite civile qui vise M. Barnabé.

Ce million est impressionnant, mais la CVMO avait de son côté la réputation d'infliger des " headline fines " (des amendes de relations publiques) impossibles à collecter, contre des firmes délictueuses évidées et déjà abandonnées par leurs dirigeants. Ainsi, Kimex, Globex et BV&A étaient inactives et sans actifs et n'avaient même pas l'argent nécessaire pour se déclarer en faillite, peut-on lire dans le communiqué de la CVMO.

La publication spécialisée Offshore Alert avait publié en 2000 un article intitulé " Laurent Barnabé: un homme d'affaires à éviter à tout prix ", dans laquelle elle expliquait aussi le penchant de M. Barnabé pour les ventes de condos à temps partagé.

© 2006 La Presse. Tous droits réservés.