Maintenant que la parité entre les dollars canadien et américain est atteinte et qu'elle semble se maintenir, faut-il songer à se doter d'une monnaie unique ou à fixer le taux de change des deux devises ?

Maintenant que la parité entre les dollars canadien et américain est atteinte et qu'elle semble se maintenir, faut-il songer à se doter d'une monnaie unique ou à fixer le taux de change des deux devises ?

Si l'idée d'une monnaie unique, évoquée par David Dodge (gouverneur sortant de la Banque du Canada) peut en séduire certains, elle est loin de faire l'unanimité chez les économistes et autres intervenants du monde de la finance.

Stéfane Marion, économiste en chef adjoint à la Financière Banque Nationale, fait partie des sceptiques. Notamment pour des raisons de souveraineté financière.

«Adopter une monnaie unique nord-américaine, explique M. Marion, ce serait aussi adopter la politique monétaire américaine. Pour le Canada, c'est un pensez-y bien dans un contexte où [une politique distincte] est un instrument important d'ajustement pour une économie cyclique qui dépend beaucoup des ressources.»

Au contraire, enchaîne l'économiste, le Canada et les États-Unis s'éloignent quelque peu de l'idée d'intégration.

«Nous sommes loin du modèle européen, dit-il. Lorsque l'on parle d'une monnaie unique, on pense à la libre circulation des facteurs de production comme la main d'oeuvre. Il faudrait aussi penser à pousser plus loin l'intégration économique. Pour l'instant, on ne trouve pas cette volonté aux États-Unis. On parle plutôt d'imposer le passeport à la frontière entre le Canada et les États-Unis ainsi qu'à celle des États-Unis avec le Mexique.»

Selon M. Marion, une devise nord-américaine donnerait aux États-Unis une grande influence sur la politique monétaire canadienne. «Le poids du Canada dans les décisions serait beaucoup moins grand. Nous aurions peut-être un dixième des voix. C'est important d'en tenir compte.»

Habedh Bouakez, professeur spécialisé en macroéconomie et finance internationale à HEC Montréal, croit lui aussi que l'indépendance monétaire canadienne vaut cher. «La Banque du Canada est très efficace pour maîtriser sa cible d'inflation. D'un point de vue de crédibilité, elle est comparée avantageusement à la Réserve fédérale américaine. Je ne suis pas sûr que nous sommes prêts à céder ce terrain-là.»

En plus, poursuit Stéfane Marion, les objectifs des banques centrales ne sont pas les mêmes. «Le dollar américain est sous pression, il pourrait continuer à se déprécier et il n'y a pas de cible spécifique d'inflation, contrairement au Canada. Ici, nous en profitons avec des taux d'intérêt plus bas. Les ménages canadiens ont plus de 1000 G$ de dettes. Les taux font en sorte que le fardeau de leur dette est moins grand.»

L'exemple de l'Union européenne et de l'euro n'est pas comparable avec l'Amérique du Nord, selon M. Bouakez. «Ce sont des pays de taille semblable qui ont beaucoup de caractéristiques communes. L'autre cas [où la monnaie unique peut être appliquée], c'est celui d'un petit pays qui exporte beaucoup vers les États-Unis ou qui a des problèmes de politique monétaire. Je ne crois pas que le Canada se qualifie selon ces critères, du moins à court terme.»

Les deux experts rejettent aussi d'emblée l'idée d'un régime de change fixe, visant à imposer la parité entre les dollars au lieu de les laisser flotter.

«On ne veut pas lier notre monnaie à une autre qui est en train de perdre de la valeur, explique Habedh Bouakez. Honnêtement, je ne vois pas d'arguments pour que le Canada s'engage dans une telle piste maintenant.»

Ce professeur des HEC voit certainement des avantages à une parité forcée... mais pas forcément pour nous. «Un pays qui a des problèmes d'inflation et de variables monétaires peut gagner en fixant sa monnaie sur une autre qui est plus forte et plus stable. Mais nous n'avons pas ces problèmes au Canada.»

Et la monnaie unique ? Aurait-elle des bienfaits pour l'économie ? «L'avantage, répond Stéfane Marion, de la Financière Banque Nationale, c'est de faire baisser les coûts de transaction. Les manufacturiers n'auraient pas à composer avec 60% d'appréciation soudaine de notre devise, des fluctuations qui peuvent bousiller leurs plans d'affaires.»

«Cela dit, ajoute-t-il, il y a peu de chances que les fluctuations à la hausse ou à la baisse soient grandes dans le futur. Je pense qu'il y aurait donc plus de désavantages que d'avantages à adopter une monnaie unique nord-américaine.»

De plus, selon Stéfane Marion, le poids des manufacturiers est de moins en moins important au sein de l'économie, alors que le Canada vit de belles années de croissance dues en partie aux matières premières. La force du huard ne ferait qu'ajouter à cette richesse, malgré certaines anomalies temporaires.

«Les consommateurs canadiens, indique l'économiste, devraient bénéficier davantage de l'appréciation lors des prochains trimestres avec des ajustements sur les prix. Ça garde aussi l'inflation sous contrôle, ça permet à l'économie intérieure canadienne de s'épanouir avec des marchés de l'emploi et de l'habitation qui vont bien. On parle d'une période de prospérité importante et l'appréciation de la monnaie en fait partie.»