Pour rigoler, elle a présenté son couple comme Harold et Maude. Linda a bientôt 51 ans et son conjoint Patrick en a 10 de moins. L'écart a peu d'importance, jusqu'à ce que la retraite se profile...

Pour rigoler, elle a présenté son couple comme Harold et Maude. Linda a bientôt 51 ans et son conjoint Patrick en a 10 de moins. L'écart a peu d'importance, jusqu'à ce que la retraite se profile...

«Nous aimerions prendre notre retraite ensemble dans neuf ans mais quand j'aurai 60 ans, mon conjoint n'en n'aura que 50, confie Linda. Ce sera beaucoup trop pénalisant pour lui de quitter son emploi à cet âge.»

Ce le sera d'autant plus que l'un et l'autre ont tardivement accédé aux emplois qu'ils occupent présentement. Ils n'ont donc pas participé suffisamment longtemps aux caisses de retraite de leurs employeurs pour en tirer la rente maximale.

Linda a tout de même tenté quelques calculs. «J'ai utilisé le logiciel de simulation des revenus à la retraite de la RRQ mais tout semble trop beau, narre-t-elle. J'ai dû me tromper dans les chiffres... J'ai probablement sous-estimé mon budget annuel.»

C'est précisément là que le bât blesse. Même si les deux conjoints ont déjà accumulé des sommes dans leur REER respectif — environ 200 000 $ au total —, ils n'y contribuent plus depuis quelques années.

«On n'en met plus dedans, admet Linda. On dépense.»

Le couple, sans enfant, a acheté un condo à Montréal en 2000, payé 188 000 $. L'emprunt, dont le solde s'élève encore à 116 000 $, sera acquitté dans 15 ans.

Linda et Patrick touchent présentement des salaires respectifs de 74 000 $ et 58 000 $.

«Devrais-je continuer de travailler jusqu'à 65 ans pour ramasser plus de mon côté afin de permettre à mon conjoint de prendre sa retraite à 55 ans et ce, même si sa pension sera réduite?», s'interroge Linda.

DES DÉPENSES ÉLEVÉES

Pour répondre à cette question, le planificateur financier Raphaël Hainault, du Fonds des professionnels, s'est d'abord intéressé à l'espérance de vie des deux conjoints.

Parvenue sans encombre à 51 ans, Linda a une espérance de vie de 35 ans, ce qui la mène à 86 ans. Patrick a pour sa part une chance sur deux d'atteindre 78 ans.

«J'estime qu'il ne faut pas que leurs actifs soient épuisés avant 2046, soit lorsque Linda sera âgée de 90 ans et Patrick de 80 ans, énonce M. Hainault. À ce moment, je suis d'avis que les rentes de leurs régimes de retraite respectifs et les rentes gouvernementales suffiront à payer les dépenses du couple.»

Pour l'instant, à combien s'élèvent ces dépenses? Parce que le couple ne met pour l'instant aucun argent de côté, M. Hainault estime que leur train de vie correspond à leur revenu net disponible, c'est-à-dire 85 000 $.

Ces dépenses incluent les versements hypothécaires de 12 500 $ par année. Cet emprunt hypothécaire n'arrivera à son terme qu'en 2020, soit cinq ans après la date à laquelle le couple souhaite prendre sa retraite.

En soustrayant les versements hypothécaires, notre expert arrive à la conclusion que Linda et Patrick dépensent annuellement 72 500 $ à des fins personnelles.

ET DES REVENUS DE RETRAITE BAS

Une retraite dans 10 ans est-elle réalisable? Voyons voir quels seraient alors les revenus du couple.

À 60 ans, Linda toucherait une rente de la RRQ d'environ 7100 $ – la rente maximale soustraite de la pénalité de 30 % pour retraite à 60 ans.

S'y ajouterait la rente de retraite de son employeur, estimée à 33 700 $. Celle-ci serait toutefois coordonnée avec la rente de la RRQ à partir de 65 ans, ce qui la réduirait alors de près de 7000 $.

En contrepartie, à 65 ans, les prestations de la Sécurité de la vieillesse entreront en scène, à hauteur de 5800 $ par année.

De son côté, en prenant sa retraite à 51 ans, Patrick ne toucherait de la RRQ qu'une rente de 4000 $, parce qu'il n'aurait pas cotisé au régime pendant suffisamment longtemps.

La rente de son employeur ne s'établirait qu'à 17,5 % de son salaire actuel, soit 10 400 $. Ce montant inclut une rente temporaire d'environ 4700 $, qui ne sera plus versée à partir de 65 ans.

Bref, dès le début de leur retraite, les revenus de Linda et Patrick n'atteindraient pas la moitié de leurs revenus de travailleurs. En conservant leur train de dépenses actuel, ils mettraient leurs épargnes à sec avant d'atteindre 65 et 55 ans!

«Ils seraient alors obligés de réduire substantiellement leur coût de vie, soit de 49 000 $ par année en valeur actuelle», observe notre expert.

La conclusion est inévitable: le projet d'une retraite dans 10 ans, dans les conditions actuelles, est parfaitement irréaliste.

Dès lors, où faire les compromis?

Si l'objectif d'une retraite à 60 et 50 ans demeure, il faut soit réduire le train de vie à la retraite, soit le restreindre maintenant et épargner pour l'avenir. Dans le premier cas, il faudra réduire les dépenses de retraite de 22 000 $, et dans le second, le couple doit s'imposer une restriction immédiate et définitive de 15 000 $ par année.

Cette seconde voie permettrait aux deux conjoints de faire perdurer leur capital jusqu'à ce qu'ils atteignent 90 et 80 ans.

«À la lumière des informations obtenues lors de notre rencontre, je crois qu'ils préféreraient travailler plus longtemps que de réduire leur coût de vie de la sorte», indique toutefois M. Hainault.

Le couple a soumis l'hypothèse d'une retraite repoussée à 55 ans pour Patrick, sans effort d'épargne supplémentaires. La rente de son employeur passerait alors à 18 000 $.

«Sa rente de retraite s'en trouverait majorée de 75 %, pour toute sa retraite, simplement en travaillant cinq ans de plus», commente M. Hainault. Le progrès est cependant insuffisant: les épargnes du couple seraient épuisées au moment où ils atteindraient respectivement 70 et 60 ans.

Non, décidément, une discipline d'épargne est nécessaire.

Notre expert suggère d'ajouter dès maintenant à ce dernier scénario une épargne de 8500 $ par année, donc une réduction équivalente des dépenses. «Cela représente 700 $ par mois, souligne-t-il. En fonction des revenus annuels du couple, cela me paraît raisonnable et apporterait une plus grande sécurité à la retraite.»

Cette discipline entraîne deux ordres de bénéfices.

Le couple augmente ainsi très nettement les épargnes disponibles à la retraite.

En outre, il se plie dès maintenant à un train de vie plus modeste, dont l'habitude sera bien installée une fois à la retraite. Les épargnes accumulées seront alors moins sollicitées et dureront jusqu'à tard dans leur vie.

D'autres scénarios sont envisageables, observe le planificateur: retraite plus tardive pour Linda, travail à temps partiel pendant les premières années, rendements plus élevés avec des placements plus risqués... Mais ils sont incompatibles avec les objectifs et la tolérance au risque du couple, signale-t-il.

Un important effort budgétaire sera donc indispensable. S'il suggère de dresser un état mensuel des revenus et dépenses pour avoir une idée claire des postes qu'il serait possible de comprimer, Raphaël Hainault ne croit pas qu'un budget soit à lui seul un outil de planification efficace.

Il recommande plutôt au couple les prélèvements automatiques à intervalle régulier dans le compte bancaire, pour fin d'investissement.

«Ainsi, leur indique-t-il, vous mettez d'abord les sommes nécessaires à votre retraite de côté et ensuite vous pouvez dépenser le reste sans effort de gestion de votre part, à la condition bien sûr de ne pas recourir à l'emprunt pour couvrir les manques à gagner.»

Il suggère à ce propos de limiter la marge de crédit du couple aux 20 000 $ correspondant à trois mois de dépenses, à n'utiliser qu'en cas d'urgence.

«Les régimes de retraite sont conçus pour remplacer au maximum 70 % du revenu de travail actif mais à une seule condition: avoir cotisé au régime pendant 35 ans, conclut-il. De nos jours, cela est plutôt rare et il en résulte fréquemment un faux sentiment de sécurité envers les régimes de retraite.»