Contrairement à ce qu'on pourrait penser, la vague de fusions et d'acquisitions qui touche les grandes entreprises canadiennes n'a pas vraiment modifié le visage de la Bourse de Toronto.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, la vague de fusions et d'acquisitions qui touche les grandes entreprises canadiennes n'a pas vraiment modifié le visage de la Bourse de Toronto.

Et ce n'est pas la privatisation possible du géant des télécoms BCE qui fera une grande différence non plus.

«C'est toujours le même film, constate le stratège Vincent Delisle, de Scotia Capitaux. Seul les acteurs ont changé.»

À vrai dire, les 55 derniers mois de marché haussier ont plutôt renforcé la concentration de la grande dame de Bay Street dans le secteur des ressources naturelles et maintenu sa prédominance dans le créneau financier.

Aujourd'hui, le poids total des secteurs «finance, énergie et matériaux» équivaut à 77 % de l'indice S&P/TSX 60, qui regroupe les 60 plus grandes compagnies du parquet torontois.

C'est beaucoup, mais il faut savoir qu'à la fin 2002 ces trois secteurs détenaient déjà la part du lion de l'indice dans une proportion de 70 %, selon une analyse menée par le courtier Scotia Capitaux.

Faut-il s'étonner d'une telle concentration?

«On retrouve le même phénomène pour les Bourses ayant des tailles équivalentes à celle de Toronto», constate M. Delisle.

En fait, précise-t-il, plusieurs marchés sont dominés par trois secteurs principaux.

C'est le cas des Bourses du Danemark (à hauteur de 87 %), de Norvège (83 %), des Pays-Bas (77 %), d'Australie (72 %), de Nouvelle-Zélande (69 %), de Finlande (68 %) et de Suède (66 %).

Par exemple, la marché danois est fortement lié aux financières, aux industrielles et aux entreprises de santé.

D'autre part, la Bourse norvégienne est hautement spécialisée dans les segments de l'énergie, des télécoms et de la finance.

Cela dit, même le marché boursier américain, le plus grand de la planète, est concentré à 49 % dans les titres financiers (22 %), technologiques (15 %) et des soins de santé (12 %).

Fait intéressant, Vincent Delisle souligne que les 10 plus importants titres canadiens pèsent pour 32 % de l'indice alors qu'en moyenne ils représentent 60 % dans les Bourses équivalentes.

«On peut donc penser qu'à plus long terme les principaux titres prendront du tonus dans l'indice canadien», avance le stratège.

Vague d'acquisitions

Depuis décembre 2002, la composition de l'indice canadien a changé mais elle n'a pas tellement modifié son profil.

Durant la période, presque le tiers des sociétés ont quitté le S&P/TSX 60 avant d'être remplacées par d'autres.

«Il y a eu un jeu de chaises musicales», remarque M. Delisle.

Certaines sociétés, comme Quebecor World et CAE, ont été retirées de l'indice en raison de la baisse de leur capitalisation boursière.

Mais la très grande majorité ont été happées par la grande vague de fusions et acquisitions.

Le secteur des matériaux est celui qui a connu le plus d'activités au cours des deux dernières années.

Les producteurs canadiens de nickel Falconbridge et Inco ont été achetés respectivement par la suisse Xstrata, pour 18 milliards, et par la brésilienne Vale do Rio Doce, pour 16,7 milliards.

Le géant aurifère Barrick Gold a acquis sa rivale Placer Dome pour 10 milliards US.

Le groupe européen Arcelor a payé 5,5 milliards pour le producteur d'acier Dofasco.

Du côté des papeteries, Abitibi-Consolidated a échangé ses actions avec l'américaine Bowater alors que Domtar a fusionné avec le secteur des papiers fins de Weyerhaeuser dans une transaction évaluée à 3,3 milliards.

Et ce n'est pas terminé.

Le fabricant de produits en aluminium Novelis sera vendu au groupe indien Hindalco pour 6 milliards US.

De plus, le producteur d'acier IPSCO a confirmé qu'il était la cible d'un achat par Evraz Group, un important groupe russe.

Malgré tous ces chambardements, la part des matériaux dans l'indice est demeurée relativement stable. Elle est passée de 14,1 % en décembre 2002 à 14,9 % aujourd'hui.

Et c'est sans compter que la valeur boursière canadienne a plus que doublé pendant ce temps!

Du coup, des nouveaux venus, comme Goldcorp, Kinross Gold, et Lundin Mining, sont venus remplacer les anciens ténors.

«Cette émergence a fait contre-poids au départ de nos grandes compagnies», dit M. Delisle.

Cela ne se fait toutefois pas sans heurts. Des secteurs d'activités, comme ceux des produits forestiers, du nickel et de l'acier, ont disparu (ou presque) de l'indice.

«C'est aussi vrai pour le secteur de la consommation qui a vu partir Molson, la Baie d'Hudson et Seagram depuis le début des années 2000», rappelle le stratège.

Ce n'est pas fini

Le conseiller Marc Dalpé pense que ce phénomène de concentration se poursuivra.

«Les marges de profits n'ont jamais été aussi élevées et les grands acteurs ont de l'argent plein les poches, dit-il. En plus d'augmenter les dividendes et racheter leurs actions ils ont les moyens d'acheter d'autres entreprises.»

Cette situation, ajoute-t-il, fait en sorte qu'il y aura de moins en moins de choix pour les investisseurs.

«Même si le marché canadien est considéré comme une Bourse de ressources naturelles le poids de ce secteur finira par baisser si le mouvement d'acquisition continue», estime l'associé du Groupe Dalpé Milette, affilié à Valeurs mobilières Desjardins.

Il ne serait pas étonné de voir passer les producteurs Alcan et Teck Cominco sous contrôle étranger dans les prochaines années.

Vincent Delisle, de Scotia Capitaux, pense que la prochaine grande vague pourrait toucher le secteur de l'énergie, composé de pétrolières et de gazières.

«Les multinationales sont pleines aux as et elles ont des projets d'acquisitions», dit-il.

Mais avant de bouger, poursuit-il, elles vont attendre des évaluations moins élevées qui surviendront quand les cours du pétrole et du gaz naturel auront baissé de 10 à 15 %.

Grâce à la bonne performance boursière des dernières années, le secteur de l'énergie est celui qui a le plus progressé dans l'indice S&P/TSX 60. De décembre 2002 à aujourd'hui, il a avancé de 20,5 % à 26,9 %.

Par ailleurs, le secteur le plus important, celui de la finance, est demeuré relativement stable au cours de la période avec une part de 35 %. Les fusions entre les grandes banques ne sont pas encore permises au pays.

Le gestionnaire Pierre Bernard, de l'Industrielle Alliance, ne s'inquiète pas de l'arrivée et du départ des titres boursiers dans l'indice S&P/TSX 60 et à la Bourse de Toronto dans son ensemble.

«Au contraire, ce sont des occasions pour les gestionnaires de portefeuilles qui cherchent des perles», dit-il.

Trop souvent, ajoute-t-il, les professionnels du placement ne prennent pas la peine de faire leurs devoirs.

«Quand l'entreprise est trop petite ou trop compliquée, certains ne vont pas plus loin, dit-il. C'était beaucoup plus facile pour eux quand les compagnies de l'indice ne bougeaient pas. Ils n'avaient qu'à choisir des titres connus, encaisser leurs bonis et acheter leurs Porsche.»

M. Bernard aime aller à la chasse pour trouver de nouveaux noms.

«Une minière, comme Lundin, arrivée dans l'indice devient intéressante, dit-il. Mais il ne faut pas, non plus, avoir peur de se tourner vers des sociétés plus petites car elles ont aussi du potentiel».

Le gestionnaire applaudit l'arrivée de la Bourse de Montréal sur le parquet. Il s'attend aussi à l'arrivée éventuelle des Dollarama et Bombardier Produits récréatifs.

«Je fais partie des gens optimistes, dit Pierre Bernard. L'indice S&P/TSX 60 continuera à changer parce que le Canada change aussi.»