L'Autorité des marchés financiers (AMF) a répondu hier aux attaques lancées le mois dernier par l'avocate de David Baazov voulant que les enquêteurs ne possédaient pas de preuves directes démontrant que l'ex-PDG d'Amaya était la source d'un « coulage majeur » d'informations privilégiées.

Il y a trois semaines, Sophie Melchers, du cabinet Norton Rose Fulbright, avait fait admettre à l'enquêteur Xavier Saint-Pierre que l'AMF n'avait pas accès au contenu des échanges téléphoniques entre intimés, seulement à des relevés téléphoniques.

L'AMF n'a effectivement pas le pouvoir de procéder à de l'écoute électronique, comme les policiers peuvent le faire.

Sophie Melchers a souvent dit à l'enquêteur le mois dernier qu'il n'avait pas de preuves directes, a rappelé hier le procureur de l'AMF, Philippe Levasseur. « C'est méconnaître l'ensemble de la jurisprudence pour les cas de délit d'initiés », a-t-il souligné. « Dans un cas de délit d'initiés, c'est quasi exclusivement de la preuve circonstancielle qu'on retrouve. Avoir une preuve directe, c'est la joie d'un régulateur. Ça n'arrive pas. »

L'enquêteur Xavier Saint-Pierre avait également révélé le mois dernier que l'AMF n'avait pas pu saisir le cellulaire de David Baazov pour analyser son contenu parce que ce dernier avait changé de téléphone le 11 décembre, au lendemain de la première perquisition effectuée au siège social d'Amaya.

RISTOURNE

Philippe Levasseur affirme que l'AMF a néanmoins certains éléments de preuves directes en sa possession. Il a notamment fait état d'un courriel échangé entre deux intimés qui explique le calcul de la ristourne à verser après avoir exécuté les transactions boursières.

L'avocat de l'AMF a aussi affirmé que le détail le plus important était de savoir où était David Baazov.

« La principale personne visée par cette audience n'est pas venue témoigner pour contredire les faits allégués par l'AMF. » - Philippe Levasseur, procureur de l'AMF

Philippe Levasseur croit que Sophie Melchers tente d'alléger la pression sur David Baazov pour en mettre sur l'AMF, qui soutient que le plus important actionnaire individuel d'Amaya est à la tête d'un réseau de gens qui ont « des liens familiaux et amicaux importants et qui se parlent et investissent à répétition et en même temps avec un timing parfait et exceptionnel ».

HUIT SÉRIES DE TRANSACTIONS

L'AMF soutient que David Baazov a refilé des informations entourant plusieurs transactions (notamment les acquisitions de Cryptologic, de Chartwell et de PokerStars par Amaya) à son frère Josh ainsi qu'à un autre homme d'affaires, Craig Levett, qui ont ensuite communiqué les renseignements à d'autres.

Depuis 2010, a souligné Philippe Levasseur, ils sont gagnants pour huit séries de transactions.

« Certains ont investi en dehors de leurs habitudes. D'autres ont hypothéqué [leur maison] et se sont endettés pour investir, ce qui démontre un risque important pour les intimés. Ça prouve qu'ils possédaient l'information privilégiée à l'effet qu'une transaction allait se réaliser. » - Philippe Levasseur

L'avocat de l'AMF a aussi décrit comme des écrans de fumée les moyens utilisés par Sophie Melchers durant le contre-interrogatoire de l'enquêteur de l'AMF. « C'est une façon de gérer les médias », a dit Philippe Levasseur, qui a même parlé de tentatives de « noyer le poisson » en signalant que la juge n'avait pas donné son accord à une « expédition de pêche ».

13 INTIMÉS

Sophie Melchers aura l'occasion de répliquer aujourd'hui. Elle s'adressera à son tour à la présidente du Tribunal administratif des marchés financiers, Lise Girard, pour tenter de la convaincre de réviser la conclusion qu'elle avait tirée en mars dernier.

En accordant au printemps des ordonnances de blocage et d'interdiction d'opérations sur valeurs contre 13 individus, Lise Girard avait notamment écrit que David Baazov serait à l'origine d'une importante fuite d'informations privilégiées dont les 13 intimés auraient financièrement profité. L'AMF avait obtenu des ordonnances de blocage pour l'aider à poursuivre son enquête dans cette affaire.

Une précédente enquête avait amené l'AMF à déposer en début d'année des accusations formelles de délit d'initiés contre David Baazov et deux autres personnes. Ce premier dossier d'enquête avait été déclenché à l'été 2014 après l'annonce de l'achat de PokerStars par Amaya au coût de 5 milliards US.

Appelé à commenter, le porte-parole de David Baazov, Ian Robertson, a rappelé à La Presse que son client clamait toujours son innocence. « L'objectif à ce stade-ci était de démontrer que l'AMF utilisait des informations sélectives pour faire valoir ses allégations. Et nous avons pu démontrer qu'il y a des failles dans les prétentions de l'AMF à l'égard de David Baazov. »