Après huit ans de bataille juridique, 451 travailleurs et retraités de l'usine IBM de Bromont ont remporté lundi une victoire « historique » contre le géant informatique. La Cour supérieure condamne IBM à leur verser 23 millions de dollars pour avoir changé unilatéralement une clause de leur régime de retraite.

« Je suis très, très, très satisfait. Je n'ai jamais pensé que ça aurait pu aboutir autrement puisque c'est la logique même », a dit hier à La Presse Affaires Jean Samoisette, un ancien technicien de production qui a mis en oeuvre le recours collectif contre IBM Canada.

Le noeud de l'affaire remonte à 1994. À l'époque, IBM a offert à ses employés de passer d'un régime de retraite à prestations déterminées à un autre à contributions déterminées. La plupart ont choisi de rester dans l'ancien régime, d'autant plus qu'ils bénéficiaient d'une « prestation de raccordement » dans le cas d'une retraite anticipée.

Cette « prestation » permettait aux travailleurs de toucher environ 7000 $ par année entre le moment de leur retraite anticipée et l'âge de 65 ans. Dans le cas de Jean Samoisette, entré chez IBM à l'âge de 19 ans, cette prime aurait totalisé 110 000 $.

Or, IBM a modifié son régime de retraite en 2006 pour supprimer la prestation de raccordement. Cette décision unilatérale a pénalisé un groupe massif d'employés, qui avaient en moyenne 27 ans d'ancienneté et étaient tout près de pouvoir bénéficier de cet avantage.

« C'est comme si je vous promettais de vous payer 1000 $ pour votre voiture, mais que j'avais une clause qui me permettait de changer n'importe quelle clause dans le contrat, et qu'au moment où je prenais la voiture, je disais : je vais vous payer 500 $ plutôt », a illustré l'avocat Bruce Johnston, qui pilote le recours collectif depuis ses débuts.

Dans sa décision rendue lundi, le juge François Duprat, de la Cour supérieure du Québec, reconnaît qu'IBM a fait subir une « injustice » à Jean Samoisette et ses collègues. « Le Tribunal lui donne raison : IBM ne pouvait - dans les circonstances de ce dossier - reprendre ce qui a été offert et convenu avec ses employés », a écrit le magistrat.

DÉCISION « HISTORIQUE »

L'avocat Bruce Johnston n'hésite pas à qualifier d'« historique » le jugement rendu lundi. Il s'attend à ce qu'il crée un précédent dans le droit du travail québécois.

« Je pense que ça va amener un grand questionnement parmi les employeurs en ce qui a trait à ce qu'ils ont le droit de faire pour changer des avantages qu'ils ont promis à leurs employés, a-t-il avancé. Ces avantages-là ne sont pas des cadeaux, les employés les gagnent. »

Me Johnston reconnaît néanmoins que la victoire n'est pas totale, puisque le tribunal a rejeté une autre demande des travailleurs de Bromont. Ceux-ci tentaient de faire invalider un second changement à leur régime de retraite, qui amoindrit leur couverture médicale après l'âge de 65 ans.

Les deux parties ont 30 jours pour décider si elles comptent en appeler du jugement. Dans un courriel à La Presse Affaires, une porte-parole d'IBM s'est dite « heureuse que le tribunal ait reconnu le droit de l'entreprise de modifier ses plans d'avantages sociaux afin de s'adapter aux époques et aux conditions changeantes », en faisant référence au volet sur les soins de santé. « En revanche, IBM est déçue que le tribunal ait accepté la mésinterprétation de certains énoncés par les demandeurs, et qu'il leur ait accordé les avantages de retraite auxquels ils n'avaient pas droit, a poursuivi la porte-parole. IBM étudie actuellement ses options d'appel. »