L'Autorité des marchés financiers (AMF) a découvert un incroyable réseau de manipulation boursière avec des tentacules aux quatre coins du monde, mais dont les racines sont à Montréal. New York, Boston, Koweït, Panama, le réseau semble avoir des assises partout.

La description de l'organisation se trouve dans un résumé d'enquête que La Presse a obtenu après trois ans de démarches devant les tribunaux. Le document décrit dans les moindres détails ce qui est généralement appelé un «pump&dump», soit le pistonnage de coquilles boursières grâce à de fausses nouvelles.

Le chef d'orchestre de l'organisation est le Montréalais Jean-François Amyot. Le financier et ses entreprises IAB Media et Conseils Hillbroy se spécialisent dans la promotion de plusieurs titres de petite capitalisation, généralement inscrits sur une Bourse hors cote américaine ou canadienne.

La requête obtenue par La Presse était sous scellés depuis trois ans. Elle visait à convaincre le tribunal de bloquer les comptes et les transactions d'une dizaine d'entreprises et d'individus. Parmi eux, on retrouve Jean-François Amyot, mais également Andrea Cortellazzi et Serge Ollu, de même que les entreprises Neuro-Biotech et Wanderport. Le tribunal, appelé Bureau de décision et de révision (BDR), a accordé le blocage en décembre 2011.

L'enquête de l'AMF porte plus spécifiquement sur la société Spencer Pharmaceutical, incorporée au Delaware. Pour cette seule entreprise, l'AMF estime que l'organisation de Jean-François Amyot a engrangé des profits illégaux de 4,1 millions en quelques mois, en 2010, au détriment des petits investisseurs.

UQAM

Pour arriver à leurs fins, Amyot et ses acolytes se sont notamment servis d'un chercheur en biotechnologies, Max Arella, et du nom de son établissement, soit l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Au moment de mettre sous presse, la porte-parole de l'UQAM, Jenny Desrochers, n'était pas en mesure de commenter la situation. Nous n'avons pu joindre M. Arella, qui travaillerait aujourd'hui pour l'INRS.

En faisant une perquisition, l'AMF a retrouvé le plan de plusieurs communiqués, préparés à l'avance, qui ont servi à promouvoir le titre. Les annonces bidon, étalées sur 16 semaines, ont été disséminés par la firme IAB sur son réseau de 350 000 courriels d'investisseurs, en plus de 200 000 membres Facebook et Twitter.

L'avocat qui représentait Jean-François Amyot est Marc-André Boutin, de la firme Davies Ward Phillips&Vineberg. En milieu d'après-midi, hier, il disait toujours représenter M. Amyot et ne voulait pas faire de commentaires. Toutefois, en fin d'après-midi, il nous a rappelé pour nous dire qu'il avait joint M. Amyot, mais que ce dernier lui avait dit qu'il n'était plus son avocat. Nous n'avons pu joindre le nouvel avocat de M. Amyot, aux États-Unis.

Par ailleurs, il n'a pas été possible de savoir si la GRC ou la SQ mène une enquête criminelle sur l'affaire. Néanmoins, la Securities&Exchange Commission (SEC) des États-Unis, le pendant de l'AMF, fait enquête.

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Des dizaines de communiqués bidon

La manipulation boursière décrite dans le document de l'Autorité des marchés financiers (AMF) a débuté au printemps 2009. Et elle aurait permis à ses instigateurs de réaliser un profit de 4,1 millions en quelques mois.

Par l'entremise d'une de ses entreprises, le financier Jean-François Amyot a alors pris le contrôle d'une coquille boursière, qu'il a nommée Spencer Pharmaceutical. Spencer a ensuite donné le mandat à l'une des sociétés contrôlées par Amyot, IAB Media, de faire mousser le titre.

Pour faire ce travail, IAB a reçu 24 millions d'actions, qui ne valaient alors que quelques cents chacune. Plusieurs de ces actions seront rachetées petit à petit par deux fonds du Panama contrôlés par Amyot et baptisés Cunningham Adams Group of Funds. C'est depuis ce paradis fiscal du Panama qu'Amyot fera ses profits, selon le document de l'AMF.

En novembre 2009, Spencer conclut une entente de recherche avec Max Arella et Mircea-Alexandru Mateescu, des chercheurs en biotechnologies à l'UQAM. Spencer se dit spécialisée dans le secteur porteur des maladies neurologiques comme l'alzheimer et le parkinson. Les faits relatés par l'AMF semblent indiquer que M. Arella et l'UQAM ont été utilisés.

Le véritable pistonnage du titre commence en juin 2010. Entre juin et décembre, l'entreprise publiera 48 communiqués annonçant des nouvelles sensationnelles qui se révèlent pour la plupart fausses, selon l'AMF.

À la fin de juin 2010, Spencer soutient dans un communiqué qu'elle vient de conclure une entente avec le centre de recherche de l'UQAM, alors que l'entente a été conclue sept mois plus tôt. Dans plusieurs des communiqués qui suivent, Spencer répète le nom de l'UQAM et inscrit même le logo de l'université sur son site internet, alors que l'établissement interdit ces pratiques.

Le 24 août 2010, Spencer annonce des résultats remarquables à son centre de recherche de l'UQAM. IAB Media communique alors massivement la nouvelle aux investisseurs, notamment sur son site internet itsallbull, avec ses effets haussiers sur le titre. Or, l'annonce est fausse, selon les vérifications ultérieures qu'a faites l'AMF auprès de l'UQAM.

Entre octobre et décembre 2010, les annonces sont presque quotidiennes. Par exemple, le 21 octobre et le 1er novembre, Spencer annonce la certification d'un organisme éthique et une association avec une société pharmaceutique. Or, ces deux organismes en apparence indépendants sont contrôlés par Amyot.

Dans les premières semaines, les fonds que détient Amyot au Panama, Cunningham, acquièrent des actions, faisant chaque fois monter le titre de quelques cents. Les transactions de Cunningham représentent parfois plus de 50% du volume d'une journée. IAB fait valoir à ses membres investisseurs que le titre s'emballe, qu'il faut acheter.

Une offre de 245 millions

C'est à partir du 4 novembre que le titre se met véritablement à monter en flèche. Spencer annonce alors qu'elle vient de recevoir une offre de 245 millions. Les détails sont révélés au compte-gouttes au cours des jours suivants, excitant les investisseurs.

Au début, il est question d'une firme russe, puis on apprend, le 16 novembre, qu'il s'agit de la société Al-Dora, présentée comme la firme d'une famille riche du Koweït. L'AMF n'a pu retracer l'existence de cette société.

Le représentant du groupe serait Hussain Al-Awaid, un homme qui se dit également vice-président de la société Canadian Commercial Group. Il devait d'ailleurs venir au Mount Stephen Club, à Montréal. «Or, la GRC a déposé 53 chefs d'accusation contre Canadian Commercial Group pour une fraude en lien avec l'immigration illégale», précise l'AMF.

Dans la foulée de l'annonce de l'offre de 245 millions, le titre grimpe rapidement, parfois de 46% en une journée. La société d'Amyot au Panama en profite pour vendre, à coup de quelque 500 000$ par jour.

Pour concrétiser la pseudo-transaction, Spencer annonce qu'un dépôt de 500 000$ sera fait dans son compte incessamment. Un virement a effectivement été fait, au début de 2011, mais l'AMF a découvert qu'il venait d'une société contrôlée, encore une fois, par Amyot.

Au total, les firmes d'Amyot au Panama ont réalisé un profit de 4,1 millions avec cette seule affaire.