On nous avait fait miroiter la «Liberté 55». À présent, même la Liberté 65 semble difficile à atteindre.

Pour certains, ce sera même la Liberté 67.

Report de la prestation de la Sécurité de la vieillesse. Difficultés et retard à épargner. Faibles rendements. Effritement des régimes à prestations déterminées.

Les temps et les circonstances ont bien changé depuis les belles années où la publicité évoquait les plages du Sud, les voiliers, les terrains de golf et autres mirages de la retraite à 55 ans.

« Dans les années 90, les taux de rendement des placements en général, et dans les caisses de retraite en particulier, avaient été très positifs, rappelle Denis Latulippe, professeur titulaire et directeur de l'École d'actuariat de l'Université Laval. Sur le plan économique, le taux de chômage était encore élevé et le bassin de population, notamment chez les jeunes, était encore important. On était donc tenté de favoriser des retraites anticipées pour faire la place aux plus jeunes. «

Pour ceux qui profitaient d'un régime de retraite avec leur employeur, la retraite avant 60 ans était alors accessible.

Mais pour les travailleurs de la classe moyenne qui ne pouvaient compter que sur leurs seules épargnes, Liberté 55 n'a jamais été qu'un slogan accrocheur.

Daniel Laverdière, directeur principal, planification financière et conseil, Banque Nationale Gestion privée 1859, a fait l'exercice. Il suppose que de 30 à 65 ans, un travailleur verse dans son REER 18 % de son revenu de 51 000 $. Il applique un taux d'inflation de 2,25 % par année au salaire et aux dépenses. Le rendement des investissements se maintient à 5,75 %, soit 3,5 % au-dessus du taux d'inflation. Ce sont là les prémisses qui ont présidé à l'instauration du régime des REER par le gouvernement fédéral, qui estimait qu'un travailleur parviendrait ainsi à maintenir son niveau de vie durant sa retraite.

À ce strict régime, notre travailleur a accumulé 1,4 million à 65 ans. Un chiffre ahurissant? Sans doute, mais ses dépenses annuelles passent de 33 500 $ à 30 ans à 100 000 $ à 80 ans, sous le seul effet de l'inflation.

Au moment où la cloche de la Liberté 55 aurait dû sonner, il avait 611 000 $ en banque. « Il manque 10 années d'épargne, souligne Daniel Laverdière. La courbe de ses épargnes aurait commencé à décliner à l'âge de 55 ans. La Liberté 55 était un rêve. Le gouvernement n'a jamais planifié qu'en épargnant 18 %, ça serait suffisant pour prendre sa retraite à 55 ans. «

M. Laverdière a compilé les rendements des différentes catégories d'actifs par période de 10 ans, depuis 1952. « Aujourd'hui, ajoute-t-il, ce n'est plus 3,5 % qu'on obtient au-dessus de l'inflation, c'est peut-être 2,5 %, et même 1,5 %. «

Et surtout, rarissimes sont les contribuables de la classe moyenne qui épargnent 18 % de leurs revenus pendant 35 ans.

Les régimes publics eux-mêmes se durcissent. À la suite du budget fédéral de mars 2012, les contribuables nés à partir de février 1962 ne pourront toucher la PSV (Pension Sécurité Vieillesse) qu'à 67 ans. « Le signal fédéral n'est pas banal, mais il n'est pas à contre-courant, commente Denis Latulippe. Plusieurs sociétés ont fait de même. «

On attend la réplique de la Régie des rentes du Québec. Déjà, de nouvelles mesures incitent les travailleurs à retarder après 65 ans la demande de versement de la rente de la RRQ.

Bref, on peut dorénavant rêver à Liberté 67, au sable blond de la plage d'Oka et au tapis vert du minigolf voisin.

De nouvelles perspectives

Les temps changent, mais les travailleurs aussi. « Les gens qui arrivaient à la retraite en 1995 et ceux qui vont y arriver en 2015 sont radicalement différents, observe Denis Latulippe. La différence entre les deux, c'est la Révolution tranquille. Les gens qui parvenaient à la retraite dans les années 90 n'avaient pas eu la chance d'avoir un accès aussi grand à l'éducation, ils avaient souvent occupé des emplois physiquement plus exigeants. «

La retraite tombait alors comme un couperet. « On travaillait à temps plein jusqu'à un vendredi donné à 17 h, et on était retraité à temps plein à partir du lundi suivant à 8 h. Ce qui est en train de changer, ce n'est plus juste l'âge de retraite, mais toute la transition du travail à la retraite. «

En raison de leur formation et de leur type d'emploi, les gens qui atteindront l'âge de la retraite au cours des prochaines années seront plus enclins à prolonger leur carrière en tempérant son intensité... et les employeurs, plus enclins à l'accepter.

« Il y a de moins en moins de jeunes pour prendre la relève et les employeurs n'ont pas le choix d'envisager une flexibilité accrue dans l'organisation du travail pour faire de la place aux travailleurs âgés, sachant qu'ils sont aussi mieux formés «, souligne Denis Latulippe.

Par obligation financière peut-être, mais souvent par intérêt pour son travail, la retraite se prendra donc plus tard et plus graduellement. «Ce qui est beaucoup plus sain à bien des égards» , estime-t-il.

Moins de stress, notamment.

Contre mauvaise fortune, bon coeur.