Soulagement, résignation et frustration. Les victimes du fraudeur montréalais Earl Jones sont partagées entre plusieurs sentiments à la suite d'un règlement à l'amiable de 17 millions de dollars conclu avec la Banque Royale, qui leur permettra de récupérer entre 30 % et 50 % de leur argent.

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Cette entente, annoncée hier, survient un peu plus de deux ans après le dépôt d'un recours collectif contre la banque. Les victimes soutiennent que la RBC savait qu'Earl Jones pigeait dans le compte en fidéicommis de ses clients à des fins personnelles, ce qui lui a permis de réaliser une fraude de plusieurs dizaines de millions.

La Banque Royale réfute toute responsabilité et se qualifie elle-même de « victime « dans cette affaire. Ce que les investisseurs floués par Earl Jones, malgré leur soulagement, ne croient pas.

« Que la banque donne quelque chose, c'est la preuve qu'elle se sent un peu coupable «, a lancé à La Presse Affaires Frankie Gordon, la belle-soeur d'Earl Jones, qui a perdu des centaines de milliers de dollars dans la fraude, tout comme son mari - le frère de Jones.

« Je trouve que le fait qu'ils donnent 17 millions, c'est un aveu, un compromis «, a pour sa part dit Ginny Nelles, l'instigatrice du recours collectif, dont la famille a perdu environ 1 million dans l'affaire. « Je sais que ce n'est pas ce que dit leur communiqué de presse, mais... «

Une autre victime, qui a refusé d'être nommée, qualifie le règlement de « bullshit « et s'attend à recevoir beaucoup moins que 30 % des centaines de milliers de dollars qui lui ont été dérobés. « On a parlé à quelques-unes des victimes et elles ont l'impression que la RBC, une des banques les plus prestigieuses au Canada, a abandonné tout le monde. Earl Jones est un voleur, ça, c'est sûr, mais la RBC a laissé ça passer. «

Environ 4,5 millions de dollars, soit le quart des 17 millions consentis par la Banque Royale, serviront à payer les avocats et des autres experts engagés dans la procédure. Neil Stein, l'avocat des victimes, s'attend à ce que celles-ci puissent toucher leur argent d'ici environ 90 jours.

Les sommes seront réparties entre 150 et 180 investisseurs, au prorata des sommes qui ont été confiées au conseiller financier frauduleux. « Ce sera au prorata des preuves de réclamation acceptées par l'administrateur «, a indiqué Me Stein pendant un entretien téléphonique.

L'ampleur des sommes détournées par Earl Jones n'a pas été établie avec précision. Le recours collectif intenté en 2010 contre la RBC citait un montant approximatif de 40 millions de dollars, mais la somme réelle oscillerait plutôt entre 30 et 34 millions, selon l'instigatrice Ginny Nelles.

Jones s'est reconnu coupable de deux chefs d'accusation de fraude en 2010 et il a été condamné à 11 ans d'emprisonnement. Il avait élaboré une pyramide à la Ponzi, qui lui a permis de simuler pendant des années un rendement factice de plus de 8 % tout en retirant des millions pour financer son train de vie luxueux. Plusieurs des investisseurs floués sont des amis ou des membres de sa famille.

» Un compromis «

Le règlement conclu avec la RBC constitue un « compromis entre les deux parties pour acheter la paix «, a dit l'avocat des victimes hier. « On a réalisé que presque la totalité des victimes sont d'un certain âge, et on veut que ce soit réglé quand elles sont vivantes au lieu de procéder jusqu'à la fin pour prouver un point. «

Même son de cloche du côté de la Banque Royale, qui tenait à tout prix à protéger son image en scellant cette entente. « Le règlement que nous annonçons aujourd'hui a été consenti parce qu'il s'agit de la solution la plus expéditive et la plus économique, et c'est celle qui nous épargne des tracas au sujet de la réputation de RBC, comparativement à un procès en bonne et due forme «, a indiqué le porte-parole Raymond Chouinard pendant un entretien.

M. Chouinard soutient que la RBC n'a rien trouvé d'anormal dans les enquêtes qu'elle a menées au sujet des retraits qui auraient été faits dans les comptes en fidéicommis. « RBC a été victime de cette fraude comme l'ont été les victimes des personnes qui étaient clientes de ce fraudeur «, a-t-il affirmé.

La RBC souligne que le règlement de 17 millions n'aura « pas d'incidence importante « sur son bénéfice. La banque a déclaré un profit de 1,8 milliards au premier trimestre de l'exercice 2012, en hausse de 17 %.

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UNE LONGUE ATTENTE POUR LES VICTIMES

8 juillet 2009: Des investisseurs portent plainte contre Earl Jones auprès de l'AMF.

10 juillet 2009: L'AMF obtient une ordonnance judiciaire pour geler les comptes gérés par Earl Jones. Il ne reste presque plus de fonds.

27 juillet 2009: Introuvable depuis trois semaines, Earl Jones se livre à la police. Il est accusé de vol et de fraude.

28 juillet 2009: Earl Jones comparaît au palais de justice de Montréal. Il est remis en liberté moyennant le versement d'une caution de 30 000$. Huit accusations sont portées contre lui.

11 septembre 2009: la résidence d'Earl Jones est saisie.

4 décembre 2009: Le syndic RSM Richter met en vente la propriété d'Earl Jones située à Dorval. Prix demandé: 925 000$. Prix de vente: 329 428$.

15 janvier 2010: Earl Jones plaide coupable d'une fraude perpétrée entre les années 1982 et 2009. Les enquêteurs de la SQ estiment le montant de la fraude à au moins 50,3 millions de dollars, visant 158 victimes.

5 février 2010: Une demande d'autorisation d'intenter un recours collectif contre la Banque Royale est déposée à la Cour supérieure.

15 février 2010: Earl Jones est condamné à 11 ans de prison.

14 juillet 2010: La Cour autorise la requête de recours collectif contre la RBC.

24 mars 2011: Le Sénat adopte un projet de loi C-59 qui vise les criminels à cravate. La libération au sixième d'une peine est abolie et rétroactive. Jones ne pourra pas recouvrer la liberté avant 44 mois.

6 mars 2012: Entente entre la RBC et les victimes.