Une nouvelle semaine de tourmente s'ouvre pour la zone euro après la dégradation coup de massue de neuf de ses membres, dont la France, appelée à passer jeudi un test crucial auprès des marchés sur lesquels pèse aussi le spectre renaissant d'une faillite de la Grèce.

La réouverture lundi des places financières dira si les investisseurs ont digéré le tir groupé de Standard and Poor's (SP). L'impact de sa décision, déjà anticipée, est apparu limité vendredi sur les Bourses européennes et à Wall Street, qui ont clôturé en petite baisse.

La principale des trois grandes agences d'évaluation financière, qui menaçait depuis décembre d'abaisser les notes de 15 des 17 États de l'Union monétaire, en a dégradé neuf.

La sanction la plus spectaculaire est tombée sur la France. La deuxième économie européenne se retrouve privée, avec l'Autriche, de son AAA. Désormais notée AA+, elle décroche de l'Allemagne, seule à conserver la meilleure note possible dans la zone euro avec la Finlande, le Luxembourg et les Pays-Bas.

Les pays déjà dans le viseur des marchés sont aussi durement frappés: l'Italie et l'Espagne ont été dégradées de deux crans, la Slovaquie, Malte et la Slovénie d'un cran, et les dettes du Portugal et Chypre ont été reléguées au rang d'investissements «spéculatifs».

Pire: hors l'Allemagne et la Slovaquie, tous les pays de la zone sont menacés d'une nouvelle dégradation d'ici fin 2013 par l'agence SP, qui évalue ce risque à un sur trois.

L'abaissement de la note financière d'un pays se traduit, en principe, par une hausse des taux d'intérêt auxquels il refinance sa dette. Pour la France, la première épreuve déterminante est attendue jeudi. Paris espère lever 7,5 à 9,5 milliards d'euros, sur 178 milliards d'emprunts prévus cette année.

L'opération sera d'autant plus scrutée qu'elle sera la seule à grande échelle de la semaine, si on excepte un emprunt à court terme lundi également par la France.

Le Premier ministre François Fillon a estimé que la perte du AAA n'aura pas de «conséquences immédiates pour la vie quotidienne des Français», soulignant dans une interview au Journal du dimanche (JDD) le niveau «historiquement faible» des taux appliqués à la France, légèrement au-dessus de 3%.

La gifle de Standard and Poor's a enflammé la campagne électorale pour la présidentielle. A moins de 100 jours du vote, elle tombe mal pour Nicolas Sarkozy, candidat attendu à un second mandat.

Favori des sondages, son adversaire socialiste François Hollande l'a accusé d'avoir «perdu» sa «bataille» pour «la conservation du triple A», dont il a longtemps fait une priorité.

Rompant deux jours de silence, M. Sarkozy a annoncé dimanche qu'il présenterait «aux Français à la fin du mois» des réformes pour sortir de la crise. Sans parler ouvertement de la dégradation, il a évoqué «une épreuve qu'il ne fallait ni sous-estimer, ni dramatiser à l'excès».

«La France reste un pays sûr» financièrement, a répété la veille François Fillon.

Plus que jamais première de la classe européenne, l'Allemagne a affiché ce week-end une solidarité appuyée avec Paris et ses autres partenaires.

Il reste «encore un long chemin» à la zone euro pour regagner «la confiance des investisseurs», a concédé la chancelière Angela Merkel, accentuant la pression pour une rigueur budgétaire accrue. «Il est cependant aussi visible que nous sommes engagés de façon décidée sur ce chemin d'une monnaie stable, de finances solides et d'une croissance durable», a-t-elle toutefois relativisé.

«Nous sommes tous étroitement liés les uns aux autres», a fait valoir son ministre des Finances Wolfgang Schäuble. «Nous sommes ensemble sur la bonne voie», a-t-il estimé.

Jugée «aberrante» par la Commission européenne, la décision de SP, tombée à un moment où le risque d'aggravation de la crise semblait s'éloigner, a valu à l'agence une volée de critiques un peu partout en Europe. Jusqu'au Vatican, dont l'organe officiel, l'Osservatore Romano, a fustigé samedi une «attaque» programmée «avec un sens du calendrier parfait et suspect».

Au delà de la France, l'Italie ou l'Espagne, SP porte un jugement critique sur l'ensemble des dirigeants de la zone euro. «L'environnement politique dans la zone euro n'a pas été à la hauteur des défis croissants engendrés par la crise», a résumé samedi Moritz Kraemer, le responsable de l'agence pour la notation des dettes européennes.

«L'efficacité, la stabilité et la prévisibilité de la politique et des institutions politiques européennes ne sont pas aussi solides qu'il le faudrait», juge SP, visant notamment le futur traité de stricte discipline budgétaire poussé par Berlin avec l'appui de Paris, à qui elle reproche de reposer «sur le seul pilier de l'austérité».

Les dégradations de vendredi sont porteuses de lourdes répercussions pour le Fonds européen de stabilité financière (FESF). Ce mécanisme de secours pour les pays en difficulté risque lui aussi de voir son triple A s'envoler dans les prochains jours, du fait de l'abaissement de la note française.

Un tel revers arriverait au pire moment, en plein regain d'inquiétudes sur la Grèce, épicentre de la crise depuis 2010.

Les banques, engagées dans un bras de fer avec les Européens sur l'effacement de la moitié de la dette grecque qu'elles détiennent, menacent de revenir sur leur engagement à une restructuration volontaire. Faute d'accord, une faillite incontrôlée du pays pourrait intervenir fin mars.

Suspendues vendredi, les négociations doivent reprendre mercredi, au lendemain du retour à Athènes de la troïka Commission européenne-BCE-FMI des bailleurs de fonds internationaux du pays.