Un mois après avoir menacé d'abaisser les notes de 15 pays de la zone euro, dont le «triple A» de la France, l'agence de notation Standard & Poor's fait durer le suspense sur les marchés et joue avec les nerfs des autorités.

«Malgré son triple A, les investisseurs traitent aujourd'hui la France comme si elle était notée triple B», a observé Jean-Michel Six, le chef économiste pour l'Europe de l'agence américaine, dans une interview au Parisien/Aujourd'hui en France parue vendredi.

Cette pique a eu le don d'agacer Bercy où l'on réplique qu'aux taux où se négocie la dette française sur les marchés -un peu plus de 3%- «les investisseurs ne traitent pas du tout la France comme un pays de la catégorie +BBB+», à la capacité de remboursement tout juste satisfaisante.

À l'Elysée, dans les cabinets ministériels, les salles de marchés ou les rédactions, chaque oracle en provenance de S&P est décortiqué, analysé, dans l'espoir d'y lire l'avenir.

Les spéculations vont bon train sur la date du verdict. Un vendredi, à 22H00 et des poussières, après la clôture de Wall Street, est une hypothèse privilégiée par nombre d'observateurs, instruits par le précédent américain.

Les États-Unis avaient perdu leur note maximale le vendredi 5 août dans la soirée. L'annonce en toute fin de semaine laisse le temps aux marchés de digérer la nouvelle pendant le week-end.

S&P se donne habituellement 90 jours pour décider ou non de passer à l'acte. Mais cette fois, l'agence a précisé dans son communiqué du 5 décembre qu'elle entendait se décider «aussi tôt que possible» à l'issue du sommet européen du 9 du même mois.

Depuis, Paris vit chaque jour dans l'attente de ce verdict. D'autant que l'agence de notation a singularisé la France, seule à être menacée d'une dégradation de deux crans de sa note. De «AAA», elle serait ravalée à «AA» tandis que les cinq autres triple A de la zone euro seraient gratifiés d'un «AA+». Les deux autres agences, Moody's Investors Service et Fitch Ratings ont également lancé des avertissements à Paris.

Sur Europe 1 vendredi, le gouverneur de la Banque de France (BdF), Christian Noyer, affichait un flegme résigné. La perte du triple A «est une décision qui appartient aux agences de notation et à personne d'autre», a-t-il constaté.

M. Noyer a cependant noté que la première émission obligataire de la France cette année a été «très réussie» jeudi.

Paris a placé avec succès près de huit milliards d'euros de dette sur les marchés, dont la moitié sur dix ans à un taux de 3,29%. Selon le gouverneur de la BdF, ces mêmes obligations étaient émises à 4,10% dix ans plus tôt.

«On garde la cote, on émet à des taux très bas (...), la dette de la France est parfaitement fiable, il n'y a aucun doute sur sa capacité à rembourser intégralement», a-t-il assuré.

Mais les nuages sont toujours là. M. Noyer a appelé à poursuivre une politique de réduction des déficits publics «rapide et crédible». Le Premier président de la Cour des comptes Didier Migaud avait lancé un appel similaire la veille, parlant d'une «nécessité impérieuse».

Sans quoi, avait-il averti, il existerait «un risque réel d'emballement du coût de la dette» qui «deviendrait très vite un fardeau insupportable».

Les plus pessimistes parmi les économistes imaginent déjà un scénario catastrophe à la grecque dans l'hypothèse d'un abaissement de deux crans de la note française. Les plus optimistes estiment que les marchés ont anticipé une dégradation qui sera, comme aux Etats-Unis, sans effet ou presque sur les taux d'intérêt réclamés par les investisseurs.

Fin 2011, l'exécutif français s'était déjà employé à déminer le terrain. Une perte du «AAA» «serait une difficulté de plus, mais pas insurmontable», avait minimisé le président Nicolas Sarkozy qui joue sa crédibilité économique sur ce dossier, à une centaine de jours de la présidentielle.