Les dirigeants des pays de la zone euro réunis pour un sommet de crise s'orientent jeudi vers un accord pour réduire la colossale dette de la Grèce, solution pouvant déboucher sur un défaut de paiement du pays qui serait sans précédent dans l'Union monétaire.

Ce projet d'accord a rassuré les Bourses européennes qui bondissaient de 2 à 4% peu de temps avant leur clôture. Quant à la monnaie unique, elle a poursuivi son rebond dans l'après-midi et a même brièvement franchi les 1,44 dollar.

La réunion, cruciale pour l'avenir de toute la zone euro, a débuté à Bruxelles à la mi-journée.

Dans le projet d'accord du sommet dont l'AFP a obtenu une copie, la zone euro indique qu'elle veut réduire le volume de la dette grecque (actuellement de 350 milliards d'euros) en impliquant les banques créancières du pays, comme le souhaitait l'Allemagne depuis le début.

Cette participation du secteur privé répond à «une situation exceptionnelle», indique toutefois le document, laissant entendre que cette solution «unique» ne sera pas appliquée à d'autres pays en difficulté.

«Tous les autres pays réaffirment de façon solennelle leur détermination à honorer leur signature», poursuit le projet d'accord, suggérant du même coup que la Grèce ne sera pas en mesure, elle, de le faire.

Parmi les options à l'étude, figure le rachat de la dette du pays auprès des créanciers privés, pour réduire le volume global de l'endettement national.

Il pourrait être réalisé y compris par le Fonds de secours de la zone euro créé pour les pays en difficulté, ce qui serait là encore une première et constituerait une concession dans ce cas à la France, selon des diplomates.

Autres options: un échange des obligations grecques en circulation pour d'autres à échéance plus longue et un «roulement» de ces mêmes titres, qui verraient les créanciers les réinvestir lorsqu'ils arrivent à échéance, selon une source européenne.

Afin de ne pas aggraver la situation de l'Irlande et du Portugal, qui comme la Grèce ont bénéficié d'un plan d'aide, la zone euro propose de manière générale d'allonger la durée de ses prêts à ces pays - de 15 ans au minimum - et de réduire les taux d'intérêt qu'elle leur demande, de 4,5% à 3,5%.

Autant de mesures visant à éviter une contagion de la crise aux pays les plus fragiles de la zone euro, comme l'Italie. Ce qui signerait probablement l'arrêt de mort de l'Union monétaire dans sa forme actuelle en tout cas.

Les solutions envisagées risquent toutefois de déboucher sur un défaut de paiement de la Grèce, brisant ainsi un tabou au sein de l'Union monétaire.

Problème: la BCE avait jusqu'ici menacé, en cas de défaut de paiement de la Grèce, de ne plus accepter les titres de la dette publique grecque comme garantie pour prêter de l'argent aux banques européennes, grecques en particulier. Ce qui contraindrait les gouvernements à renflouer eux-mêmes le système bancaire en Grèce et ailleurs dans l'Union monétaire.

Toutefois, selon une source diplomatique, l'Institut monétaire semble avoir assoupli sa position au vu des propositions sur la table. En outre, le rachat de dette publique désormais envisagé par le Fonds européen de secours constitue aussi un geste en direction de la BCE qui le demandait de longue date.

Elle est actuellement la seule à pouvoir le faire pour soulager les banques de la zone euro et a prévenu à plusieurs reprises qu'elle n'entendait pas poursuivre sur cette voie.

Reste qu'un défaut de paiement de la Grèce, même partiel, présente des risques imprévisibles pour le système financier européen.

Après des semaines de tergiversations, le couple franco-allemand a débloqué la situation dans la zone euro en se mettant d'accord mercredi soir sur les moyens d'aider la Grèce. Le compromis entre Paris et Berlin a servi de base au projet d'accord discuté jeudi.

Le deuxième plan de soutien à la Grèce doit permettre d'éviter la faillite du pays, qui a bénéficié au printemps 2010 d'une promesse de 110 milliards d'euros de prêts. Il pourrait comporter environ 71 milliards d'euros de nouveaux prêts de l'Europe et du Fonds monétaire international (FMI), selon des diplomates, même si le FMI juge encore sa participation «hypothétique».

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QU'EST QU'UN DÉFAUT DE PAIEMENT?

Un pays incapable de rembourser ses dettes fait défaut sur une ou plusieurs échéances. Il est en faillite, au moins partielle. Les dirigeants européens doivent mettre au point, jeudi à Bruxelles, un nouveau plan de secours pour la Grèce qui, paradoxalement, risque d'impliquer un tel défaut de paiement partiel, ou «sélectif», du pays. Même s'il est très limité dans le temps.

POURQUOI LA GRÈCE SERA-T-ELLE CONSIDÉRÉE EN DÉFAUT DE PAIEMENT?

Sous la pression de l'Allemagne, les créanciers privés de la Grèce (banques, assurances, fonds de pension...) vont mettre la main à la poche. Les solutions élaborées impliquent qu'ils renoncent à une partie de leurs créances. La dette grecque sera ainsi rééchelonnée et allégée.

Il s'agit d'une modification du contrat qui liait l'emprunteur à ses prêteurs. Les agences de notation ont déjà prévenu qu'elles considéreront cela comme un défaut partiel du pays.

QUELLES CONSÉQUENCES POUR LES BANQUES?

Plusieurs dirigeants jugeaient, encore récemment, qu'un défaut de paiement serait le scénario du pire. La Banque centrale européenne (BCE) y était farouchement hostile. La crainte, c'est que cet évènement soit une secousse qui fasse trembler l'ensemble de la zone euro, comme la faillite de la banque Lehman Brothers aux États-Unis en 2008 avait été un séisme pour tout le système financier international.

Les premières touchées seraient les banques. D'abord, car elles renoncent, volontairement ou pas, à une partie de l'argent qui leur est dû. Mais aussi, dans ce cas, car la BCE a jusqu'ici prévenu qu'elle n'accepterait plus en cas de défaut les obligations de l'État grec comme garantie pour prêter de l'argent aux banques. Or les banques grecques sont sous perfusion de l'institut monétaire, essentiellement grâce à ces garanties.

D'autres banques européennes, notamment allemandes et françaises, qui détiennent de la dette grecque, pourraient aussi être secouées.

QUELLES CONSÉQUENCES POUR LES CITOYENS?

Si les banques ne devaient plus être aidées de la sorte, le risque de paralysie serait réel pour l'économie du pays. Les citoyens et les entreprises grecs n'obtiendraient plus de crédits et pourraient même se ruer aux guichets pour retirer leurs avoirs, aggravant la situation.

Selon une étude de deux économistes du FMI, les défauts de paiement provoquent «de profondes récessions» avec une aggravation du chômage. Ce qui, dans le cas de la Grèce déjà aux prises avec un climat social explosif, serait dévastateur.

COMMENT ÉVITER LE PIRE?

Le défaut de paiement partiel est constaté par les agences de notation. Plusieurs voix se sont élevées pour que la BCE fasse fi de leur avis et continue d'alimenter les banques grecques.

Mais des pistes alternatives sont aussi explorées. Les dirigeants espèrent que le défaut sélectif soit de courte durée, un temps pendant lequel les banques centrales nationales pourraient suppléer la BCE dans son rôle de financement.

Si la dette de la Grèce est rapidement réduite de manière substantielle, les agences pourraient à nouveau juger le pays solvable, estiment certains experts.

Y A-T-IL UN RISQUE DE CONTAGION?

L'objectif majeur de la zone euro, c'est d'éviter que la crise ne se propage à des économies plus importantes comme l'Espagne ou l'Italie - dont le sauvetage serait beaucoup trop coûteux.

Mais des analystes redoutent que, si le défaut grec est maîtrisé et aboutit à une réduction substantielle de la dette, d'autres pays lourdement endettés soient tentés - ou poussés par les marchés - de suivre le même chemin.