Les deux principaux dirigeants du fabricant de jouets Mega Brands (T.MB) n'auront sans doute pas l'esprit enjoué en se présentant à l'assemblée d'actionnaires, ce matin à Montréal.

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Marc Bertrand, président et chef de la direction, et son frère Vic, chef de l'innovation, viennent d'être accusés de délits d'initiés par l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Deux ex-dirigeants de Mega Brands sont aussi ciblés: Alain Tanguay, ex-chef financier, et Brahm Segal, ex-vice-président au développement des affaires.

Ces accusations déposées devant le Bureau de décision et de révision (BDR), tribunal spécialisé dans les délits boursiers et financiers, s'accompagnent d'une réclamation d'amendes qui totalisent tout près de 6,5 millions de dollars.

S'il est adjugé par le BDR, le montant des amendes serait un record au Québec pour des accusations du genre.

L'Autorité des marchés financiers réclame des amendes totalisant 2,89 millions pour chacun des deux frères Bertrand. L'AMF réclame aussi une amende de 468 500$ à M. Tanguay et de 234 375$ à M. Segal.

Les sommes réclamées correspondent aux gains illégaux en Bourse reprochés aux accusés, majorés d'une pénalité de 25%.

«C'est le plus gros dossier traité à ce jour par notre équipe d'enquêteurs spécialisés en délits d'initiés, qui existe depuis 2008», a confirmé le porte-parole de l'AMF, Sylvain Théberge, à La Presse Affaires.

Le record précédent revient à un ex-chef d'informatique de la firme d'avocats Ogilvy Renaud, l'un des plus gros cabinets de droit d'affaires au Canada.

En novembre 2010, Dominic Côté, 44 ans, a écopé d'une amende de 1,26 million après avoir plaidé coupable à 14 accusations de délit d'initié. Il avait échangé des actions d'entreprises à partir d'informations confidentielles qu'il puisait dans le système informatique du cabinet d'avocats qui l'employait.

Chez Mega Brands, les accusations de délit d'initié contre deux dirigeants actuels et deux ex-dirigeants concernent des transactions qu'ils ont effectuées après la mi-décembre 2005.

L'AMF leur reproche d'avoir échangé des titres de l'entreprise après avoir été informés à l'interne, à l'insu du public investisseur, qu'un «enfant serait décédé apparemment après avoir avalé des pièces aimantées qui se seraient détachées d'un jouet fabriqué par Rose Art Industries, filiale de Mega Brands».

Ce grave incident de l'automne 2005 avait d'ailleurs déclenché un feuilleton juridique et financier pour Mega Brands, impliquant les ex-dirigeants de Rose Art au moment de son achat par l'entreprise montréalaise.

Une série de poursuites et de contre-poursuites menées surtout devant un tribunal ontarien a abouti à un règlement total de 72 millions en faveur de Mega Brands, en novembre 2009.

Néanmoins, les allégations de délits d'initiés qui furent énoncées lors de ces délibérations judiciaires ont trouvé écho auprès des régulateurs boursiers.

À l'AMF, on a confirmé hier qu'elles ont motivé l'enquête qui a mené aux accusations déposées contre quatre dirigeants actuels et antérieurs de Mega Brands.

Hier, l'entreprise a publié un communiqué où elle soutient que les transactions reprochées ont déjà fait «l'objet d'allégations en Ontario», ainsi que d'une «enquête complète et approfondie» par des administrateurs indépendants à son conseil.

«Ces allégations n'ont pas eu de suite, soutient Mega Brands. Marc Bertrand et Vic Bertrand nient ces allégations et se défendront vigoureusement.»

Néanmoins, devant le BDR, les accusations seront l'objet d'audiences spéciales de forme judiciaire avec des avocats de part et d'autre «au cours des prochains mois», estime-t-on à l'AMF.

Des accusés reconnus coupables par le BDR peuvent en appeler devant les instances judiciaires habituelles: la Cour du Québec et la Cour d'appel.

Mais lors d'une condamnation finale, les amendes imposées passent alors au service de perception du ministère québécois du Revenu. «Contrairement à la croyance populaire, c'est le type d'amendes dont on ne peut pas se défaire par une faillite personnelle, par exemple. Elles suivent les coupables tant qu'elles ne sont pas entièrement réglées», a souligné le porte-parole de l'AMF, Sylvain Théberge.