En raison de l'acharnement du ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, le débat sur la nécessité d'une commission des valeurs mobilières unique au Canada fait rage à nouveau. Et pour valider sa position, le gouvernement fédéral entend demander l'avis de la Cour suprême.

En effet, le 16 octobre dernier, le ministre de la Justice du Canada, Rob Nicholson, a annoncé son intention de demander à la plus haute cour du pays si le gouvernement fédéral a le pouvoir constitutionnel d'adopter et de mettre en oeuvre un régime fédéral de réglementation des valeurs mobilières.

À Ottawa, on s'active à la création de cette agence unique de réglementation.

La veille de l'annonce par le ministre de la Justice, sept provinces et trois territoires avaient proposé des membres pour le comité consultatif, dont l'objectif sera de façonner la loi fédérale sur les valeurs mobilières. Le Québec, de même que le Manitoba et l'Alberta, s'est abstenu.

Le Comité consultatif conseillera le Bureau de transition afin d'assurer la transition des organismes de réglementation actuels vers un organisme canadien unique de réglementation des valeurs mobilières.

Mais au Québec, la position du gouvernement et des organismes de réglementation est claire: on n'en veut pas d'une agence unique pancanadienne.

«Le développement du secteur financier québécois est favorisé par le contrôle de la réglementation», dit Jean St-Gelais, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF).

La présence des institutions financières est essentielle à ce développement. Si toute la réglementation s'opère à partir de Toronto, les institutions déménageront forcément leurs divisions qui s'occupent de la question, selon lui.

«Il y aura beaucoup moins d'emplois pour les diplômés en droit», dit-il.

La réglementation vise deux objectifs, soit la protection du public et le bon fonctionnement des marchés. Il faut harmoniser les pratiques des provinces, mais cela ne veut pas dire une uniformité à l'extrême, croit Alain Paquet, député libéral de Laval-des-Rapides à l'Assemblée nationale.

«Le nouveau régime du Passeport qui autorise les gens des autres provinces à pratiquer au Québec permet d'atteindre les objectifs d'harmonisation», dit celui qui est aussi président de la Commission des finances publiques du Québec.

La question des coûts

Les partisans d'une agence unique s'appuient sur l'hypothèse qu'elle permettrait de réduire les coûts et d'éviter les scandales, rappelle M. Paquet.

Mais cette argumentation ne tient pas la route, selon lui.

En ce qui concerne les coûts, des études, dont celle du professeur Jean-Marc Suret, de l'Université Laval, démontrent clairement que ce n'est pas le cas.

Quant aux scandales, plusieurs se produisent aux États-Unis, bien que la Securities and Exchange Commission agisse comme agence unique de réglementation.

«On risque de tomber dans un débat sur le contenant au lieu d'un débat sur le contenu», dit-il.

Il s'agit, pour Alain Paquet, d'un mauvais débat qui risque de miner la crédibilité du système canadien.

Également à l'encontre d'une agence unique, il y a la notion que la réglementation provinciale est plus sensible aux préoccupations des gens du milieu, explique Yves Morency, vice-président aux relations gouvernementales chez Desjardins.

«Plus on unifie, moins on laisse de place à l'innovation, dit-il. Comment le Québec aurait-il pu se doter du REA (régime enregistré d'épargne-action), du capital régional, des fonds d'action des organismes syndicaux, s'il avait fallu s'adresser à une agence unique à Ottawa?» se demande-t-il.

Mais pour d'autres, les avantages d'une agence unique excèdent les désavantages.

Nul doute que les nombreux dédoublements entraînent des coûts, selon Jean-Pierre Ouellet, dirigeant à la retraite de RBC Valeurs mobilières et administrateur de sociétés.

«De plus, il est extrêmement important d'avoir plus d'uniformité dans l'application des lois et des règlements», dit-il.

Minoritaire sur cette question au Québec, il se dit absolument convaincu du bien-fondé d'une agence unique. Quant à la question constitutionnelle, ne reste plus qu'à savoir ce que la Cour suprême en pensera ...