Un grand cabinet d'avocats québécois a décidé de tronquer son nom. Pour le plaisir? Non, pour les affaires!

À première vue, rien n'a vraiment changé au 40e étage du 1 de la Place Ville-Marie, à Montréal. Ni les tapis, ni le décor, ni même le comptoir où une réceptionniste reçoit les clients qui jaillissent des ascenseurs. Rien, sauf pour le petit écriteau où est inscrit le nom du cabinet d'avocats: depuis lundi, Lavery, de Billy a disparu, remplacé simplement par le diminutif Lavery.

«Nous avions besoin de simplifier notre image», explique le président du Conseil du cabinet, Michel Yergeau, 61 ans, alors qu'il reçoit La Presse dans une grande salle de conférence.

 

Lavery, de Billy n'est pas le premier cabinet à raccourcir son nom. L'an dernier, McMillan Binch Mendelsohn et De Grandpré Chait l'ont fait pour devenir respectivement McMillan et De Grandpré. La raison? Question de simplification, justement.

Traditionnellement, depuis 150 ans dans quelques cas, les cabinets d'avocats ont toujours porté le nom de leurs deux ou trois associés fondateurs. Mais avec l'addition de nouveaux associés et surtout depuis la vague de fusions entre cabinets, les noms des firmes devenaient de plus en plus longs. Encore aujourd'hui, on retrouve au Québec des cabinets au nom long comme ça: Joli-Coeur, Lacasse, Geoffrion, Jetté, St-Pierre, qui compte des bureaux à Montréal, Québec et Trois-Rivières ou encore Colby, Monet, Demers, Delage&Crevier, de Montréal.

Les temps ont bien changé. Pour se démarquer de la concurrence, plusieurs cabinets canadiens et américains ont décidé d'adopter les méthodes de marketing développées par les pros de l'image de marque. Un de ces gestes aura été de couper leur nom. En Ontario, Tory, Tory, Deslauriers&Binnington est devenu Torys. Goodman and Goodman, après sa fusion ratée avec Phillips and Vineberg, a ressuscité sous le nom de Goodman et a profité de sa nouvelle identité pour lancer une campagne de marketing qui a fait école, remportant en 2005 le prix de la meilleure campagne de branding en Amérique du Nord pour un cabinet d'avocats.

Les dirigeants du nouveau Lavery n'ont probablement pas l'intention de s'inscrire à un concours de marketing. Mais chose certaine, ce changement de nom est l'aboutissement d'une longue réflexion amorcée il y a plus de six mois pour repositionner le cabinet dans l'imaginaire de la clientèle d'affaires du Québec.

Un magasin général du droit des affaires méconnu

Michel Yergeau explique que le cabinet s'est radicalement transformé en 20 ans, passant d'un bureau spécialisé majoritairement en litige d'assurance à un bureau de droit des affaires, transformation qui a culminé en 2007 avec l'intégration de 34 avocats de Desjardins Ducharme.

Presque du jour au lendemain, Lavery est devenu, avec 171 avocats, le plus important cabinet indépendant en droit des affaires au Québec. Indépendant, dans le sens que le cabinet n'est présent qu'au Québec - mis à part une petite antenne à Ottawa -, et que le centre de décision est donc à Montréal, contrairement aux bureaux nationaux comme McCarthy Tétrault ou Gowlings, présents partout au Canada.

Aujourd'hui, Lavery fait du droit des affaires au sens large. Des fusions et acquisitions, du financement, du droit corporatif, du droit du travail, du droit immobilier, du droit environnemental (sans feu vert environnemental, dit Me Yergeau, aucun projet ne peut voir le jour), du litige commercial, etc. C'est un peu le grand magasin général du droit des affaires.

Sauf que dans la tête de bien des gens d'affaires, Lavery est toujours demeuré ce cabinet qui fait du droit de l'assurance...

«Plus de 90% de nos avocats font du droit des affaires, souligne Me Yergeau, le cabinet avait besoin de repositionner son image pour refléter cette réalité.»

Ainsi, Lavery a non seulement changé de nom, mais aussi de logo. Le petit arbre qui représentait jadis le cabinet a disparu, remplacé par une flèche qui relie désormais les mots «droit» et «affaires».

Le cabinet compte un nouveau site Web, accessible à lavery.ca, et lancera d'ici quelques semaines une campagne publicitaire dans la presse économique et spécialisée.

Des sceptiques

Tous ces efforts donneront-ils des résultats? Plusieurs sceptiques en doutent, évoquant la théorie bien connue que l'avenir des cabinets d'avocats appartient soit aux très grandes firmes nationales, capables de desservir les grandes entreprises, ou alors aux cabinets boutiques, hyper spécialisés. Entre les deux, les cabinets régionaux de taille moyenne comme Lavery ou BCF ont peu de chances de succès à long terme. Ils sont, en quelque sorte, dans l'univers du droit ce qu'étaient jadis au commerce de détail les magasins à rayons qui ont pour la plupart disparu.

Michel Yergeau, lui, balaie ces arguments d'un revers de main. Vrai, dit-il, que son cabinet est peu présent dans les très grandes transactions de plusieurs milliards (ex: privatisation de BCE), réservées aux cabinets nationaux. En revanche, Lavery est très actif dans les transactions de taille moyenne, en droit minier notamment. Il explique par ailleurs que beaucoup de clients préfèrent un bureau indépendant aux cabinets nationaux parce ces derniers se retrouvent trop souvent en conflit d'intérêts.

Enfin, ajoute-t-il «à compétence égale, nous sommes moins chers que les cabinets nationaux». Voilà probablement le meilleur plan de marketing jamais inventé!

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