Refusant toujours de reconnaître l’existence de la discrimination systémique et d’adopter le Principe de Joyce, le gouvernement du Québec tente maintenant « un premier pas » en imposant sa version de la sécurisation culturelle des Autochtones dans le réseau de la santé.

La Commission des institutions de l’Assemblée nationale a entrepris mardi les consultations particulières sur le projet de « Loi instaurant l’approche de sécurisation culturelle au sein du réseau de la santé et des services sociaux ». Un document de quatre pages déposé à la toute fin de la dernière session parlementaire.

Dans ses remarques préliminaires, le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, a tenu à saluer la mémoire de Joyce Echaquan, une mère de famille atikamekw décédée en 2020 sous les insultes du personnel de soins au Centre hospitalier de Lanaudière, à Joliette.

Tout en rappelant que la recommandation d’« enchâsser la sécurisation culturelle » dans la loi sur la santé a été formulée dans le rapport de la Commission Viens, en septembre 2019, le ministre Lafrenière a souligné que c’est la mort tragique de Mme Echaquan qui « a remis en évidence l’importance d’agir ».

Pourtant, le gouvernement québécois refuse d’adopter le principe qui porte son nom proposé par le Conseil des Atikamekw de Manawan et le Conseil de la Nation Atikamekw. L’énoncé s’inspire de la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Il exige la reconnaissance de la discrimination systémique et se veut un engagement pour un accès équitable et sans discrimination à des soins de santé culturellement sécuritaires.

Aux yeux du ministre Lafrenière, son projet de loi se veut malgré tout un premier pas. Or, il reste à déterminer dans quelle direction.

Alors que les représentants des Premières Nations reprochent à Québec de leur imposer une nouvelle loi et de les mettre devant le fait accompli plutôt que de travailler en collaboration, le ministre s’est défendu en commission en disant « avoir rencontré 13 groupes pour nous guider ».

Pour ajouter au sentiment de mise à l’écart des Autochtones du processus, le ministre a choisi d’entendre d’abord le Collège des médecins du Québec (CMQ), l’Ordre des infirmiers et infirmières du Québec (OIIQ) et la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) avant tout groupe autochtone.

Le projet de loi 32 ne compte que cinq articles et le premier se lit comme suit : « Tout établissement du réseau de la santé et des services sociaux doit adopter une approche de sécurisation culturelle envers les Autochtones. Celle-ci consiste à tenir compte de leurs réalités culturelles et historiques dans toute interaction avec eux. »

Très peu contraignant, le projet de loi demande aux établissements de santé d’adapter leur offre de services « lorsque possible » en procédant par exemple à l’embauche de personnel autochtone, en offrant des ressources d’accompagnement, en offrant des formations à son personnel ou par « la prise en compte des réalités propres aux femmes et aux filles autochtones ».

Projet de loi « irrespectueux »

Dans une lettre adressée aux parlementaires, le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), Ghislain Picard, explique qu’il ne participera pas aux travaux. Il juge le projet de loi « irrespectueux des droits des Premières Nations ».

Il s’en prend d’abord à la « définition un peu trop courte » qu’a le gouvernement caquiste de la sécurisation culturelle. Selon le chef Picard, il ne s’agit pas uniquement d’une expérience individuelle, mais aussi d’un enjeu social plus grand devant tenir compte des « déséquilibres de pouvoir » et devant « s’attaquer aux effets persistants du colonialisme sur les iniquités ».

« Cela signifie notamment la reconnaissance de la discrimination systémique, surtout dans le réseau de la santé et des services sociaux, mais dans tous les services de l’État québécois également », insiste-t-il.

Au-delà du contenu du projet de loi déposé par Ian Lafrenière, il dénonce surtout la manière de faire, qu’il qualifie de « mépris » envers l’autonomie gouvernementale des Premières Nations.

« Encore une fois, le gouvernement du Québec s’arroge le pouvoir de légiférer sur un sujet qui relève de la compétence de nos gouvernements de Premières Nations. En 2023, on devrait s’attendre à mieux que cette façon de faire paternaliste », écrit le chef d’origine innue.

Le chef du Conseil des Atikamekw de Manawan, Sipi Flamand, a porté sensiblement le même discours devant les parlementaires lors de son témoignage en fin d’après-midi. Il a dénoncé l’absence de la vision autochtone dans le PL-32 et a décrit la démarche comme un autre exemple de geste colonialiste.

En entrevue à La Presse Canadienne, la présidente de Femmes autochtones du Québec, Marjolaine Étienne, estime à son tour que la reconnaissance du racisme systémique est « un élément fondamental ».

Si on ne le nomme pas, « on ne travaille pas sur les vraies choses », tranche-t-elle. « Les choses qui ne se nomment pas se continuent, renchérit-elle. Et j’ose espérer qu’il n’y arrivera pas un autre (drame) ». Mme Étienne devait témoigner devant la commission en soirée mardi.

Face-à-face tendu

Dès le départ, on a eu droit à un face-à-face tendu entre le ministre Lafrenière et le président du CMQ, le Dr Mauril Gaudreault.

Contrairement au gouvernement, le collège a travaillé en co-construction avec des représentants des Premières Nations et des Inuit dans la rédaction de son mémoire. Cette remarque du Dr Gaudreault a semblé mettre le ministre sur la défensive. Ian Lafrenière s’est alors empressé de répéter avoir rencontré 13 groupes autochtones avant de rédiger sa loi.

Sur la liste obtenue auprès de son cabinet, on retrouve des centres d’amitié, le Conseil cri de la Santé et des Services sociaux de la Baie James et des groupes de femmes, mais aucun gouvernement autochtone.

Par la suite, le Dr Gaudreault a déploré l’obstination du gouvernement à ne pas reconnaître l’existence de la discrimination systémique au Québec. Une réalité pourtant reconnue par une grande partie de la société civile, dont le CMQ, l’OIIQ et la CDPDJ.

« Nous, nous sommes mal à l’aise avec la situation, mais vous, vous semblez mal à l’aise avec le mot, a lancé le Dr Gaudreault. Je pense qu’il faut d’abord reconnaître ce racisme systémique dans le réseau de la santé. »

« Je ne suis aucunement mal à l’aise de reconnaître qu’il y a du racisme, qu’il y a des gens qui sont intolérants. Qu’il y a des médecins et du personnel soignant qui sont racistes et qui donnent de mauvais services », a répliqué le ministre en plaidant « faire un premier pas ».

Ian Lafrenière a même affirmé qu’il ne croyait pas en la nécessité de son propre projet de loi, mais qu’il se devait d’« envoyer un message clair ». Selon lui, c’est aux gens sur le terrain d’être des agents de changement.

« J’ai beau écrire une loi de 400 pages, si les gens sur le terrain ne font pas les changements, on n’y arrivera pas », a-t-il soutenu après avoir accusé les médecins de ne pas en faire assez.

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