(Montréal) Les chances sont minces pour ne pas dire nulles que l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) adopte un nouvel examen au printemps prochain. Selon ce qu’a appris La Presse Canadienne, l’Office des professions serait loin d’être emballé par l’idée d’une adaptation de l’examen américain connu sous l’acronyme NCLEX-RN.

En réaction à un rapport accablant du commissaire à l’admission aux professions, l’ordre avait annoncé en mai dernier sa volonté de saborder son propre examen pour adopter l’épreuve nationale américaine. Le NCLEX-RN est également utilisé dans plusieurs provinces canadiennes pour évaluer la compétence des candidates à la profession d’infirmière.

Selon l’échéancier évoqué au moment de l’annonce, l’OIIQ prévoyait tenir une dernière épreuve avec son propre format le 18 septembre 2023, puis adopter le format américain au printemps 2024. Ce scénario semble toutefois peu réaliste.

Afin de pouvoir procéder à ce changement majeur dans le processus d’accès à la profession, l’ordre a déposé une demande de modification du « règlement sur les autres conditions à la délivrance du permis d’infirmière », a confirmé l’Office des professions.

Cette demande doit faire l’objet d’une analyse juridique ainsi que d’une évaluation de « l’opportunité de la mesure souhaitée et du projet de texte réglementaire qui l’accompagne », précise-t-on. C’est ce volet de la démarche qui semble faire obstacle.

Selon une source bien informée du dossier, l’Office aurait soulevé des doutes sur la pertinence de traduire et d’adapter l’examen national américain au contexte de la réalité québécoise. À ce sujet, la seule expérience connue d’une traduction française du NCLEX-RN est celle du Nouveau-Brunswick, où cela s’est avéré si catastrophique que la Société de l’Acadie et la Fédération étudiante du Campus universitaire de Moncton ont poursuivi l’organe qui régit la profession dans la province de l’Atlantique.

De plus, il faut considérer que même si l’on parvient à adapter le format adéquatement, il faudra ensuite déterminer une marche à suivre impliquant tous les acteurs du milieu académique en vue d’une éventuelle implantation. Une telle opération pourrait prendre de nombreux mois, voire quelques années.

Par ailleurs, l’Office des professions aurait exigé des informations supplémentaires de la part de l’OIIQ à la suite du dépôt de sa demande et certaines réponses se feraient toujours attendre.

Au cabinet de la présidente du Conseil du Trésor, Sonia LeBel, de qui relève l’Office des professions, on estime que le recours au NCLEX-RN « ne saurait constituer une solution à court terme ». On assure que la ministre suit le dossier de très près et que cette option « doit faire l’objet d’une analyse sérieuse afin de s’assurer que l’examen s’applique au contexte québécois ».

Dans une réaction transmise par courriel, l’OIIQ indique que « pour l’instant, le dossier suit son cours » et que « si l’échéancier devait être repoussé », les parties prenantes vont être informées « le plus rapidement possible ».

Toujours selon l’ordre, « les travaux impliquent la contribution de partenaires externes pour lesquels (il n’a) pas de contrôle sur les délais ». En bref, on dit se plier aux délais imposés par l’Office des professions, mais l’objectif demeure le printemps 2024.

En conférence de presse, vendredi matin, le ministre de la Santé Christian Dubé a commenté le dossier à son tour. Il a rappelé que le gouvernement n’était « pas très à l’aise avec l’idée » d’adopter l’examen national américain. Il a ensuite dit s’attendre à ce que l’Office des professions formule « des commentaires très clairs » dans les prochaines semaines.

Mises en garde

Dans son rapport sur le fiasco du faible taux de réussite à l’examen de l’OIIQ de septembre 2022, le commissaire à l’admission aux professions avait soulevé des failles et des faiblesses méthodologiques. Il offrait également des pistes de solution pour améliorer l’outil, puis il mettait en garde contre la tentation d’importer un format étranger.

« Un examen est plus qu’un outil technique d’évaluation, il comprend en son sein la norme professionnelle et se construit autour d’elle. L’examen reflète aussi une vision de la profession en regard de laquelle on veut évaluer l’aptitude d’une personne candidate », écrit Me André Gariépy à la section 7 de la partie 1 de son rapport d’étape 2.

Il ajoute qu’une bonne évaluation doit tenir compte du contexte de la pratique, de l’organisation du réseau, des activités réservées, de la formation reçue et des cadres juridiques.

Or, recourir à un outil conçu à l’étranger ferait « perdre une partie du contrôle sur la norme professionnelle même et sur la vision de la profession », prévient-il. Me Gariépy entrevoit du même coup des conséquences sur « la formation initiale, le système professionnel, l’effectivité de la protection du public et le système de santé au Québec ».

En tenant compte de tous ces enjeux, le commissaire insiste sur l’importance d’aborder avec précaution un changement aussi majeur.