(Québec) Pas assez « contraignant », exempt « d’empreinte des nations autochtones », approche « colonialiste et paternaliste » : le Collège des médecins critique durement le projet de loi du gouvernement qui vise à introduire la sécurisation culturelle dans le réseau de la santé.

Au cœur des griefs du Collège des médecins : le refus du gouvernement Legault de reconnaître l’existence du racisme systémique dans le réseau de la santé. Dans un mémoire qui sera déposé en commission parlementaire mardi, l’ordre professionnel en fait sa première recommandation.

« Il n’y en aura pas, de changements, si humblement on ne reconnaît pas ça », lance le président du Collège des médecins, le DMauril Gaudreault. En entrevue avec La Presse, ce dernier salue les efforts du gouvernement québécois, mais lui demande d’aller encore plus loin.

Le Collège ouvre ce mardi le bal des consultations sur le projet de loi 32 déposé au dernier jour de la session parlementaire, en juin, par le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière1. L’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), qui représente 43 chefs autochtones, juge pour sa part le projet de loi « irrespectueux » et ne participera pas aux consultations.

Or, selon l’ordre professionnel, la mouture actuelle du projet de loi n’est pas suffisamment « contraignante » pour introduire un « véritable changement de culture » au sein du réseau public. Il déplore « ne pas y distinguer l’empreinte des nations autochtones ». Le « savoir autochtone est occulté » tant dans l’élaboration du texte législatif, dans sa mise en application et son contrôle, écrit-on dans le mémoire.

Le Collège va même jusqu’à affirmer que le projet de loi 32 est « caractérisé par une approche colonialiste et paternaliste » et que « la pensée autochtone y est ignorée ». On recommande carrément que le texte de loi « soit revu de concert » avec les Premières Nations.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le président du Collège des médecins, le DMauril Gaudreault

Le projet de loi ne doit pas être élaboré POUR les Autochtones, mais il faut qu’il soit élaboré AVEC les Autochtones, si on veut vraiment qu’ils se sentent sécurisés quand ils vont consulter en médecine, à l’urgence et au bureau du médecin.

Le DMauril Gaudreault, président du Collège des médecins

Un projet de loi « cocréé »

Selon le Collège, Québec doit « changer ses façons de faire » et permettre aux représentants des Premières Nations de corédiger les projets de loi qui les concernent. « C’est une nation, donc, il faut écrire ça en partenariat entre deux nations », illustre le DGaudreault, qui précise que le mémoire du Collège l’a été en collaboration avec plusieurs groupes autochtones.

L’APNQL se trouve d’ailleurs un allié en le Collège des médecins. Le chef Ghislain Picard, qui signe mardi une lettre expliquant son refus de participer aux consultations, demande à Québec de faire marche arrière et de « revoir le processus législatif à l’égard de la sécurisation culturelle selon une approche réelle de co-développement avec les Premières Nations »2.

« Le Québec ne participe pas aux commissions initiées à Ottawa, Ottawa ne participe pas aux commissions initiées par le Québec. Je pense que quelque part, il faut trouver une façon de relever les statuts des gouvernements des Premières Nations. C’est quelque chose à laquelle le [gouvernement] actuel tourne complètement le dos », a déploré le chef Picard en entrevue.

Québec s’est engagé après le décès tragique de Joyce Echaquan, en septembre 2020, à instaurer le concept de sécurisation culturelle dans le réseau de la santé.

Il s’agit aussi d’une recommandation de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec, dite la commission Viens. Fait à noter, le juge à la retraite qui a présidé les travaux, Jacques Viens, sera entendu mercredi.

Quelques recommandations du Collège des médecins

  • Que le gouvernement reconnaisse le Principe de Joyce, qui inclut la notion de racisme systémique.
  • Que soit modifiée la reddition de comptes afin que les milieux de soins informent régulièrement, non seulement le ministre, mais aussi « une instance autochtone », des pratiques sécurisantes mises en place.
  • Reconnaître et respecter les savoirs et connaissances traditionnelles et vivantes des Autochtones en matière de santé.
  • Qu’une instance, composée d’Autochtones des diverses communautés québécoises, vivant en milieu urbain et non urbain, cocrée des amendements pour décoloniser les structures de soins, revoir l’accompagnement des Autochtones au sein du réseau de la santé et des services sociaux et réviser le processus de plaintes.

Qu’est-ce que la sécurisation culturelle ?

La sécurisation culturelle désigne des soins qui sont offerts dans le respect de l’identité culturelle du patient, notamment. L’objectif est entre autres d’accroître le sentiment de sécurité des Autochtones envers les services publics de santé.

1. Lisez « Sécurisation culturelle des Premières Nations : Québec dépose son projet de loi » 2. Lisez la lettre de Ghislain Picard