Le président-directeur général de la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ), Jacques Cotton, siège depuis avril au conseil d'administration de la compagnie d'assurances La Capitale, aux côtés de trois dirigeants possédant des mandats de lobbyistes auprès de la RAMQ. Une situation qui soulève des questions sur l'influence des compagnies d'assurances en santé sur les politiques du gouvernement, selon une association professionnelle des pharmaciens et un éthicien.

« On s'interrogeait sur ce qui a pu pousser le gouvernement à suivre les positions des assureurs privés dans le récent projet de loi 92. Est-ce que ce lien est en cause ? Est-ce que c'est autre chose ? On se pose de sérieuses questions », affirme Christophe Augé, président de l'Association professionnelle des pharmaciens salariés du Québec (APPSQ). La loi 92, qui vient accroître les pouvoirs de la RAMQ, a été adoptée le 6 décembre dernier.

Pour Luc Bégin, professeur titulaire à la faculté de philosophie de l'Université Laval et ancien directeur de l'Institut d'éthique appliquée (IDEA), ces deux fonctions de M. Cotton sont inconciliables. « Je ne comprends pas qu'un PDG de la RAMQ puisse même siéger au conseil d'administration d'une entreprise privée qui oeuvre dans le même secteur », dit-il.

À la RAMQ, on assure que la nomination de M. Cotton au conseil d'administration de La Capitale respecte les règles de l'art et a été faite en toute transparence. « Le ministre de la Santé et des Services sociaux, M. Gaétan Barrette, et le gouvernement du Québec, via le Secrétariat aux emplois supérieurs, sont tous au courant de la situation. De plus, le C.A. de la Régie est aussi au fait de cette situation, et une déclaration d'intérêts a été faite par M. Cotton », affirme le porte-parole de la RAMQ, Marc Lortie, qui ajoute que M. Cotton remplit ces fonctions bénévolement, cinq ou six soirs par année.

EN COMPAGNIE DE LOBBYISTES

M. Cotton siège au conseil d'administration de La Capitale mutuelle de l'administration publique, mutuelle à but non lucratif qui chapeaute un groupe financier comptant une dizaine de filiales, notamment en assurances générales.

Deux dirigeants de La Capitale, soit le président du conseil et chef de la direction, Jean St-Gelais, et le secrétaire général, Pierre-Marc Bellavance, possèdent des mandats de lobbyistes auprès de la RAMQ, entre autres. L'un de ces mandats vise à faire des « représentations en vue d'obtenir des modifications législatives et réglementaires pour que le remboursement du coût des services pharmaceutiques et de médicaments continue de se faire sur une base comparable pour les adhérents du régime public et pour ceux des régimes privés [...] ».

M. Cotton siège également au conseil d'administration de la compagnie La Capitale assureur de l'administration publique. Le président de cette entité, Steven Ross, possède le même mandat de lobbyiste auprès de la RAMQ.

Le porte-parole de La Capitale, Jean-Pascal Lavoie, explique que ces mandats de lobbyistes ont été faits au nom de l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes (ACCAP), et non pas au nom de La Capitale. En octobre, les trois dirigeants de La Capitale ont rencontré des élus de l'Assemblée nationale. « Mais aucun n'a rencontré M. Cotton à la RAMQ dans le cadre de leur mandat de lobbyistes », assure M. Lavoie.

« Peu importe au nom de qui est le mandat des lobbyistes, reste que ces gens siègent avec M. Cotton. [...] On n'est pas dans le conflit d'intérêts apparent ici. On est dans le conflit d'intérêts réel », dit Luc Bégin, professeur titulaire à la faculté de philosophie de l'Université Laval.

Professeur titulaire à la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public, Luc Bernier est plus nuancé. Il reconnaît que cette présence de lobbyistes au même conseil d'administration que M. Cotton « amène à se poser des questions ». « Mais comme tout ce qui touche à l'éthique, il n'y a pas de réponse claire », dit-il. M. Bernier précise toutefois que les membres de conseils d'administration ne sont « pas dans la gestion, mais dans la gouvernance ». « Le problème avec les conseils d'administration, c'est que, souvent, si l'on ne nomme que des gens blancs comme neige, des fois, ils ne sont pas bons », dit-il, tout en soulignant que M. Cotton est sûrement très qualifié pour remplir cette fonction.

QUESTION ÉTHIQUE

M. Cotton siège aussi au conseil d'administration de la RAMQ, dont le code d'éthique mentionne que « l'administrateur doit éviter de se placer dans une situation pouvant jeter un doute raisonnable sur sa capacité à s'acquitter de ses devoirs avec honnêteté et impartialité ».

Pour M. Bégin, ce critère n'est pas respecté par M. Cotton. « À partir du moment où il siège à un C.A. d'entreprise privée en santé, la question peut se poser sur son allégeance, sa loyauté vis-à-vis de son mandat de haut fonctionnaire public », dit-il.

Dans la description de la tâche de PDG de la RAMQ, il est également stipulé que le PDG doit « s'occuper exclusivement des devoirs relatifs à sa fonction ». « En tant que PDG de la RAMQ, on s'attend à ce qu'il consacre toutes ses énergies à sa fonction, explique M. Bégin. Je ne remets pas en question la bonne foi de M. Cotton. Mais au minimum, c'est un manque de jugement flagrant. »

LA RAMQ RÉPLIQUE

Le porte-parole de la RAMQ explique qu'une loi constitutive de La Capitale prévoit que son conseil d'administration soit composé à 100 % de membres issus de l'administration publique. « M. Cotton n'est pas le seul membre de la fonction publique à siéger au C.A. de La Capitale, confirme M. Lortie. Advenant le cas où un sujet abordé lors des rencontres amènerait un potentiel conflit d'intérêts, M. Cotton se retirerait. Et le tout sera noté dans les procès-verbaux. Mais il n'a jamais eu à le faire. »

La RAMQ assure que M. Cotton n'a « jamais eu de représentations de La Capitale sur le projet de loi 92, ni sur aucun autre dossier impliquant la RAMQ », en siégeant au C.A. de La Capitale. M. Lortie ajoute que les deux mandats de lobbyistes pris par les dirigeants de La Capitale concernent des sujets qui ne relèvent pas de la RAMQ, mais bien du gouvernement. « La RAMQ applique les décisions prises par l'Assemblée nationale ou, le cas échéant, par le gouvernement du Québec », dit-il.

Pour M. Augé, ces précisions ne changent rien. « La RAMQ a participé à la rédaction du projet de loi 92. Quelle a été l'influence réelle des assureurs privés dans ce processus ? On peut se le demander. Mais ce n'est pas normal de se poser ces questions. Chose certaine, les assureurs privés ont eu beaucoup plus d'écoute que nous », dit-il.