En imposant à ses employés du service à domicile un outil statistique appliquant des standards de temps précis pour plusieurs interventions, le Centre de santé et de services sociaux (CSSS) d'Ahuntsic-Montréal-Nord a causé des préjudices moraux à 52 travailleurs, dont des ergothérapeutes, des physiothérapeutes, des nutritionnistes et des travailleurs sociaux, a tranché un arbitre, le 7 mars.

Les travailleurs, qui ont vécu de «l'anxiété, du stress, de l'irritabilité et dans plusieurs cas, des troubles du sommeil ou des troubles gastriques, des crises (pleurs) et autres inconvénients psychologiques», recevront chacun 500 $ en dommages moraux.

Dans sa décision, l'arbitre Carol Jobin rappelle qu'en 2010, le ministère de la Santé avait émis une directive exigeant que les programmes de soins à domicile de la province augmentent de 10% le temps d'intervention directe auprès des patients. Ils avaient jusqu'en 2015 pour y parvenir, sous peine de pénalités financières. Pour atteindre cet objectif, le CSSS Ahuntsic-Montréal a mis en place un «Projet d'optimisation» avec l'aide de la firme privée Proaction en 2012.

Un outil appelé «Planification et suivi de la performance» (PSP) a été adopté. Cette grille informatique devait être remplie de façon hebdomadaire par les travailleurs qui devaient notamment y planifier leur semaine de travail en utilisant des «temps standards», pour une série d'interventions.

Dès le départ, le PSP a soulevé la grogne de plusieurs employés qui jugeaient que les temps standards étaient irréalistes et ne tenaient pas compte de la réalité des soins à domicile. Dans leurs témoignages devant l'arbitre, des employés ont raconté avoir été extrêmement stressés par la surcharge de travail engendrée par le PSP. Plusieurs ont déploré le climat de travail malsain qui régnait alors qu'ils se sentaient constamment évalués.

Atteinte au droit des travailleurs

En imposant le PSP, le CSSS d'Ahuntsic-Montréal-Nord a «porté atteinte» au droit des travailleurs «à des conditions de travail justes et raisonnables», peut-on lire dans la décision. Le PSP «en plus de causer une surcharge de travail» a «affecté les salariés sur le plan moral et psychologique».

Dans leurs 12 griefs collectifs déposés en octobre 2012, les travailleurs plaidaient aussi que la réorganisation du travail au CSSS portait atteinte à leur intégrité professionnelle et à leurs responsabilités déontologiques. L'arbitre reconnait que le PSP «comportait objectivement le risque qu'un professionnel soit placé dans le dilemme consistant à choisir entre se conformer au PSP ou se conformer à ses obligations de qualité de service». «Or la preuve, si elle relève un risque, n'établit pas qu'une telle situation se soit effectivement produite», tranche l'arbitre.

Puisque l'employeur n'a pas prolongé les inconvénients et souffrances psychologiques éprouvés par les travailleurs lorsque ceux-ci ont cessé d'utiliser le PSP en janvier 2013 en guise de protestation, aucun dommage punitif n'est imposé au CSSS. Mais des dommages moraux totalisant 29 500 $ devront être versés aux travailleurs.

«Belle victoire»

Présidente du Syndicat du CSSS Ahuntsic-Montréal-Nord (APTS), Marjolaine Goudreau a sauté de joie en entendant les conclusions de l'arbitre. «C'est une belle victoire. Nous avons démontré que les méthodes imposées par le PSP de Proaction ont eu des impacts sur nous. Les travailleurs étaient pris dans un étau. En nous mobilisant, nous avons réussi à faire changer les choses», dit-elle.

«Cette décision montre que la course à la performance, où on demande toujours de faire plus avec moins, en faisant fi de l'autonomie des professionnels à ses limites», affirme Carolle Dubé, présidente de l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS)

«On espère que cette décision aura un impact sur les dirigeants et le ministère de la Santé», ajoute Mme Dubé

Au CSSS Ahuntsic-Montréal-Nord (maintenant Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Nord-de-L'Île), on n'a pas voulu commenter la récente décision. «Nous sommes en train d'en prendre connaissance et nous allons analyser les arguments qui ont menés à la décision de l'arbitre», affirme la porte-parole, Louise Mercier.