Lorsque François* est arrivé dans sa classe de maternelle, l'automne dernier, il ne savait prononcer aucun mot. Il grognait pour s'exprimer, ignorait à quoi servait un crayon et ne regardait personne dans les yeux. Et il faisait des crises. Plusieurs fois par jour.

Depuis, François fait du progrès, lentement, un jour à la fois. Le garçon de cinq ans connaît quelques mots qu'il prononce péniblement, comme « maman », « en haut », « en bas ». Il sourit lorsqu'il est en classe et ne fait pratiquement plus de crises.

Ce progrès, la famille de François l'attribue en grande partie à l'encadrement auquel il a droit au Centre amis des mots de l'école Annexe Charlevoix, dans Saint-Henri. Il s'agit de la seule école du Québec à offrir une classe à temps plein pour les élèves de quatre ans présentant une dysphasie, syndrome d'origine neurologique qui affecte le langage.

« Depuis qu'il est ici, il a changé de bout en bout », résume son grand-père, qui souligne aussi l'effet positif de la nouvelle médication sur son petit-fils.

François va mieux, donc, et l'école y est pour beaucoup. Pourtant, son avenir au Centre amis des mots est incertain.

Le garçon, considéré comme un cas sévère, est présentement évalué pour voir si son diagnostic de dysphasie est maintenu.

Voilà plusieurs années que le Centre amis des mots demande à la Commission scolaire de Montréal (CSDM) deux éducatrices spécialisées à temps plein: une pour épauler l'enseignante de maternelle 4 ans, l'autre pour les cinq autres classes de langage (5 à 9 ans), qui comptent chacune six élèves. La CSDM évalue la demande, qui vient d'être renouvelée.

Le ministère de l'Éducation offre un financement supplémentaire aux commissions scolaires pour chaque élève présentant une problématique (afin de leur permettre d'embaucher des spécialistes), mais ce calcul ne considère que le trouble principal de l'enfant. Un enfant ayant des troubles multiples n'est donc pas subventionné davantage qu'un enfant n'en ayant qu'un seul. Par ailleurs, ce financement supplémentaire ne vise pas les enfants de maternelle, qui n'ont souvent pas de diagnostic arrêté.

Année après année, la très déficitaire CSDM tente malgré tout d'accommoder le Centre amis des mots, mais le nombre d'éducatrices spécialisées et leurs jours de travail ne sont jamais garantis. Actuellement, la CSDM y envoie une seule éducatrice spécialisée à raison de deux jours par semaine.

Le Centre de réadaptation Marie Enfant de l'hôpital Sainte-Justine, partenaire du Centre amis des mots, fournit des orthophonistes et des ergothérapeutes sur une base régulière. Ces spécialistes sont essentiels, mais n'ont ni le mandat ni la disponibilité pour intervenir en cas de crise.

« Quand un enfant fait une crise, on n'est pas disponible pour les autres. On diminue les activités, la stimulation. Et les autres sont inquiets et se désorganisent », explique l'enseignante-orthopédagogue Erika Saby-Geoffroy.

DES HANDICAPS SÉVÈRES

Les enfants qui fréquentent le Centre amis des mots présentent des handicaps de plus en plus sévères, constatent les enseignantes. Surtout les plus jeunes.

« À quatre ans, les traits se chevauchent », explique Anne-Marie Gauthier. Certains présentent des troubles du spectre de l'autisme, des troubles moteurs graves, une déficience intellectuelle ou encore le syndrome de Gilles de la Tourette. C'est sans compter les troubles de comportement et de déficit d'attention.

Si les petits se font diagnostiquer un trouble envahissant du développement ou une déficience intellectuelle, ils sont transférés dans une autre école spécialisée, où chaque enseignant est épaulé par une éducatrice spécialisée. Entre-temps, le Centre amis des mots doit composer avec les ressources disponibles.

François demande une attention constante. Du haut de ses cinq ans, il traîne un lourd passé. Son père a battu sa mère devant lui à plusieurs reprises. 

« Si on le change d'école, on recommence à zéro, dit son grand-père, facteur à la retraite. Et c'est nous qui allons endurer ses crises d'anxiété. »

L'Alliance des professeurs de Montréal appuie la demande du Centre amis des mots. Le syndicat demande depuis longtemps au Ministère de reconnaître les handicaps multiples et les troubles associés des élèves.

« Il faut avoir toutes les ressources nécessaires pour répondre aux besoins multiples de ces élèves-là », souligne la présidente de l'Alliance, Catherine Renaud.

* Le nom est fictif afin de protéger l'identité du garçon

LA DYSPHASIE...

Est aussi appelée trouble primaire du langage.

Est due à une dysfonction neurologique dans la zone  du cerveau qui traite le langage.

Peut affecter la production des sons, la formation des mots, la compréhension des mots et la construction des phrases.

Est souvent accompagnée de difficultés motrices, sensorielles, cognitives et/ou comportementales.

Peut être sévère et limiter grandement les interactions verbales, la socialisation et les apprentissages scolaires.

Évolue peu sans intervention adéquate.

UN ENFANT DYSPHASIQUE...

Prononce ses premiers mots et ses premières  phrases plus tardivement.

Comprend mieux les gestes que les mots.

Désigne les choses par des gestes.

S'adapte difficilement aux changements.