Plus cher, le privé en santé? Pas toujours. L'entente controversée qui a permis à l'hôpital du Sacré-Coeur de Montréal d'opérer des milliers de patients dans les locaux d'une clinique privée n'aurait pas coûté plus cher à l'État que si les malades avaient été traités dans les salles d'opération de l'établissement public, selon une étude obtenue par La Presse.

Des chiffres surprenants qui donnent de nouvelles munitions aux médecins de l'hôpital dans leur bataille pour sauver in extremis leur partenariat avec la clinique Rockland MD que le ministre de la Santé Réjean Hébert a refusé de renouveler et qui doit prendre fin en septembre.

«Les listes d'attente vont augmenter, prévient le chef du service de chirurgie et de traumatologie de l'hôpital, le Dr Ronald Denis. À un moment donné, il faut penser aux patients. [Les prétentions selon lesquelles ça coûte trop cher à Rockland] sont inexactes. Non seulement les coûts sont équivalents, mais c'est plus performant chez eux.»

Selon une analyse comparative menée par le service des finances de l'hôpital, une intervention d'un jour effectuée à Sacré-Coeur coûte en moyenne 2679$. Entre les murs de Rockland, la même intervention coûte 2906$, soit 8% de plus. Toutefois, en retirant de l'équation certains frais qui ne sont pas comptabilisés par le centre hospitalier, l'amortissement de l'équipement médical, par exemple, l'intervention à la clinique privée coûterait plutôt 2456$, soit 8% de moins qu'à l'hôpital.

Même à Rockland, on s'avoue surpris. «C'est une révélation, dit le directeur du centre médical, le Dr Fernand Taras. Tout ce qu'on entendait, c'était: "Mon Dieu qu'ils sont chers!" Finalement, ça peut être rentable de garder l'entente.»

Annoncé en grande pompe en 2007 par nul autre que l'actuel chef du Parti libéral, Philippe Couillard, le projet pilote de l'hôpital et de la clinique privée, qui se voulait un véritable laboratoire, fait des vagues depuis le début. Il permet aux chirurgiens de Sacré-Coeur de profiter de deux salles d'opération et du personnel de la clinique pour y effectuer des interventions d'un jour. Le but: opérer plus de malades et diminuer les listes d'attente.





Satisfaits à 98%

En 8 ans, 13 118 patients ont été opérés. Le taux de satisfaction serait de 98%, selon le Dr Denis. «À l'hôpital, quand tu as 60%, tu es content», dit-il.

Malgré cela, dès 2009, l'agence de la santé de Montréal a songé à mettre fin au projet, soutenant que le recours au privé coûtait trop cher. On calculait qu'il en coûte de 30 à 40% plus cher pour faire opérer des patients au privé aux frais de l'État.

L'an dernier, après une saga de plusieurs années, le ministre Hébert a finalement tranché. «Je peux vous dire que cette entente a cours jusqu'en septembre et qu'elle ne sera pas renouvelée», disait-il au quotidien Le Devoir. Les opérations doivent toutes être rapatriées au public.

Une situation souhaitée par le syndicat des professionnels en soins infirmiers et cardio-respiratoires de l'hôpital du Sacré-Coeur de Montréal. «On dit depuis toujours que l'entente n'est pas une bonne chose. Ces opérations doivent être faites au public. Présentement, l'argent du public est envoyé dans un système parallèle», déplore le président par intérim du syndicat, Bertrand Du Sablon. Ce dernier refuse de dire si l'hôpital sera en mesure de récupérer l'ensemble du volume de chirurgies dès septembre.

«C'est à l'administration de répondre», dit-il. M. Du Sablon ne nie pas le fait que le bloc opératoire de l'hôpital manque parfois d'infirmières. «Mais les difficultés de recrutement et de rétention du personnel sont liées aux conditions de travail», dit-il.

Entre les murs de l'hôpital, on voit cette décision comme une véritable catastrophe. «On n'arrivera pas à opérer autant. C'est impossible», affirme le Dr Denis. Dans les deux prochaines semaines, dit-il, 13 salles d'opération seront fermées à Sacré-Coeur faute d'infirmières. À la clinique privée, jamais une salle n'a dû être fermée. «On n'est pas au-dessus de ça. Les employés peuvent tomber malades, dit le Dr Taras. Mais ce n'est pas encore arrivé.»

C'est sans compter que pour une journée donnée, les médecins arrivent à opérer deux cas de plus que s'ils étaient au centre hospitalier.

«Ce n'est pas pour dénigrer l'hôpital. C'est juste que la clinique est pensée pour les chirurgies d'un jour. Elle a un mandat très pointu, alors que l'hôpital est fait pour les cas lourds», dit Ronald Denis.

Selon lui, les médecins n'ont pas encore jeté l'éponge. Ils espèrent encore convaincre le gouvernement.

- Avec la collaboration de Serge Laplante