Le ministère fédéral de la Santé a approuvé les produits naturels d'entreprises dirigées par des criminels. Ou de fabricants controversés, qu'il a vainement poursuivis avant de changer de cap. En voici cinq exemples.

Craze

L'Américain Matt Cahill, qui a commercialisé quatre produits dangereux en sept ans, est parvenu à faire approuver l'un d'entre eux par Santé Canada l'été dernier.

En 2003, l'homme lance le Superdrol, qui cache un stéroïde illégal, jamais utilisé sur les humains. Le produit cause de graves problèmes de foie, notamment à un jeune athlète, qui a ainsi ruiné sa carrière, révèle une enquête du quotidien USA Today.

En 2005, Cahill est condamné à deux ans en prison pour avoir vendu un produit amaigrissant composé de levure chimique («poudre à pâte») et de pesticide. Au Connecticut, une adolescente de 17 ans est morte 10 heures après en avoir avalé. Une mixture semblable avait déjà tué des gens et avait rendu des personnes aveugles dès les années 30.

Cahill a encore été poursuivi, l'été dernier, pour avoir lancé un autre produit «naturel» destiné aux adeptes de musculation, le ReboundXT. Selon les autorités, il contenait encore une fois un ingrédient chimique caché.

En 2011, devenu vice-président de Driven Sports, Cahill lance un jus en poudre, Craze, censé contenir de l'extrait d'orchidée. Le produit, qui se vendait bien, est sacré «supplément de l'année» par le site bodybuilding.com. Dès juin 2012, la US Antidoping Agency (USADA) découvre toutefois que Craze contient des substances apparentées aux amphétamines et aux méthamphétamines. L'agence le met sur sa liste de produits à haut risque. Et la Food and Drug Administration apprend qu'un jeune de 15 ans a été trouvé inerte après en avoir consommé.

Quelques mois plus tard, le 30 août, Santé Canada approuve néanmoins Craze pour métaboliser le gras. Sa licence est toujours valide au Canada. Même si les grands détaillants américains, dont Walmart, ont cessé de le vendre. Et si Cahill lui-même l'a retiré du marché, tout en niant la validité des tests gouvernementaux.

OxyElite Pro

Un produit amaigrissant non autorisé, l'OxyElite Pro, a causé au moins une mort et plusieurs transplantations de foie. Il a donc fait l'objet d'une alerte de Santé Canada en novembre.

Le Ministère a toutefois approuvé sept autres produits du même fabricant, USPlabs, de Dallas, dont le PDG, Jacob Geissler, a été condamné au criminel en 2003. Geissler avait été trouvé en possession de milliers de pilules de stéroïdes anabolisants, précise le USA Today.

L'un des produits de USPlabs approuvé par Santé Canada, la Jack3d, figure sur la liste des produits à haut risque de la USADA aux côtés de Craze. Supposément composée d'extraits de géranium énergisant, cette poudre contiendrait plutôt un stimulant synthétique ayant déjà causé des crises cardiaques et des hémorragies cérébrales: la dimethylamylamine ou DMAA, initialement vendue comme médicament décongestionnant.

En décembre 2012, USPlabs a dû verser 2 millions à des clients pour fausse publicité.

Santé Canada a interdit la vente de DMAA dès 2011. Ce qui ne l'a pas empêché d'accorder un numéro de produit naturel au Jack3d en août dernier. Le mois précédent, la FDA avait saisi des milliers de doses du produit, forcé le fabricant à les détruire et à s'engager à ne plus y cacher de DMAA.

Detonate

Comme Craze et Jack3d, Detonate figure sur la liste des produits à haut risque de la USADA. Encore une fois, parce qu'on y a trouvé un stimulant similaire aux méthamphétamines. Le Detonate est toujours autorisé par Santé Canada. Son fabricant, Gaspari Nutrition, dit avoir cessé d'en fabriquer, mais détient neuf autres licences canadiennes.

Strauss Heartdrops

Entre 2002 et 2005, deux personnes âgées frôlent la mort et une troisième est hospitalisée après avoir consommé les gouttes pour cardiaques de Strauss Herb Co, alors très populaires. Pendant sept ans, jusqu'en 2012, le ministère fédéral de la Santé refuse de les approuver, entre autres, parce qu'elles contiennent du gui et que certaines espèces de cette plante sont toxiques.

En 2012, le fabricant menace de s'adresser aux tribunaux, convaincu que Santé Canada se montre plus exigeant à son endroit qu'à l'endroit de ses concurrents, parce que son produit «fonctionne trop bien et est trop populaire», nous dit-il. Le Ministère, qui avait déjà approuvé neuf autres de ses produits, fait soudain de même avec les fameuses gouttes.

Strauss Herb affirme sur son site n'avoir «jamais eu de rapport d'effets indésirables» au sujet des Heartdrops - malgré les trois drames évoqués plus haut. Aux médias locaux, il avait affirmé qu'il s'agissait de simples démangeaisons. En entrevue, son dirigeant, Peter Strauss, affirme maintenant n'avoir jamais été informé des problèmes en question et promet de corriger son site, tout en ajoutant: «après avoir vendu des millions de bouteilles pendant 35 ans, ce n'est presque rien comme effets indésirables, bien moins que les médicaments. Les produits naturels ne tuent pas».

En 2003, Santé Canada a vainement poursuivi Strauss Herb pour publicité trompeuse. Soixante-dix-sept accusations ont été retirées, « parce qu'elles violaient notre liberté d'expression », affirme M. Strauss.

En 2005 et 2006, le Ministère est toutefois parvenu à lui faire retirer trois produits du marché. Les deux premiers contenaient du chaparral, plante risquée pour le foie et les reins. Le troisième, Energy Six, recelait de la yohimbine, extrait d'écorce susceptible d'endommager le coeur, le foie ou les reins.

EMPowerplus

Au terme d'un feuilleton déroutant, Santé Canada a accordé l'an dernier un numéro de produit naturel à EMPowerplus - un cocktail de vitamines et de minéraux dérivé d'un remède conçu pour calmer les porcs agressifs.

Son fabricant albertain, TrueHope, affirme que sa recette permet d'éliminer les sautes d'humeur. Et que les malades psychiatriques qui en consomment peuvent ensuite se passer de médicaments.

En 2000, le ministère fédéral de la Santé avise TrueHope qu'il n'a pas le droit de prétendre guérir des maladies. Trois ans plus tard, il met la population en garde, ferme le centre d'appels du fabricant et saisit les arrivages aux frontières. Des centaines de clients révoltés jurent que le produit fonctionne. Le Ministère leur explique comment se procurer le même produit aux États-Unis - lui qui affirmait qu'un ingrédient d'EMPowerplus causait des défaillances rénales.

En 2004, Santé Canada accuse TrueHope de vendre un médicament sans autorisation. Mais l'entreprise est acquittée. La juge a cru les témoins venus raconter que la santé des malades brutalement privés d'EMPowerplus périclitait et qu'ils mettaient fin à leurs jours. En toute conscience, TrueHope n'avait donc pas le choix : il lui fallait défier Santé Canada, même s'il s'agissait d'un crime, dit le jugement. La juge reproche aussi à Santé Canada de ne pas avoir incité TrueHope à demander un numéro de produit naturel, plus facile à obtenir qu'un numéro de médicament.

TrueHope n'a quand même pas le droit de pousser des malades à cesser leur traitement médical, lui écrit le Ministère en 2007. Au même moment, il avise le public que neuf utilisateurs d'EMPowerplus ont vu leurs symptômes psychiatriques s'aggraver.

Un an plus tard, EMPowerplus est approuvé comme simple «soutien nutritionnel au bien-être physique et mental». Sur son site, TrueHope continue pourtant d'écrire que son produit remplace les médicaments psychiatriques. Même si, en 2011, un jeune schizophrène de Vancouver tue son père après avoir remplacé son antipsychotique par EMPowerplus, et est jugé non criminellement responsable.

Interrogé par La Presse, l'un des fondateurs de l'entreprise, Anthony Stephan, affirme que la mère du jeune homme avait perdu l'ordonnance de son fils, et que TrueHope lui avait recommandé d'en obtenir une autre, pour que le sevrage ne soit pas trop brutal et risqué. Il assure que ses nouveaux clients sont tous dirigés vers des médecins pour effectuer leur «transition».

En janvier dernier, le British Journal of Psychiatry a publié une étude menée auprès de 80 adultes néo-zélandais souffrant de déficit de l'attention ou d'hyperactivité. L'étude conclut qu'EMPowerplus s'est révélé plus efficace qu'un placebo pour améliorer leur état. Mais «il faut interpréter ces résultats avec prudence, vu les contradictions entre les évaluations des différents observateurs. De plus grandes études sont nécessaires pour déterminer la solidité de ces résultats préliminaires», préviennent les chercheurs.