Comment convaincre les fumeurs récalcitrants d'écraser ? C'est la question que se posent de plus en plus les spécialistes en santé publique. Hier, à Chicago, une séance de la réunion annuelle de l'Association américaine pour l'avancement de la science, le plus important colloque scientifique de la planète, toutes disciplines confondues, a fait le point sur le sujet.

« On a fait des progrès importants sur le contrôle du tabac dans les pays riches, explique Delon Human, un médecin d'origine sud-africaine qui dirige l'entreprise suisse Health Diplomats. Mais on se rend compte qu'il y a un noyau de fumeurs plus âgés, parfois réfractaires, mais souvent tout simplement incapables d'écraser. Et chez les patients psychiatriques, le taux de tabagisme stagne. Dans certaines institutions, 80 % des malades fument. »

Depuis peu, on met l'accent sur les raisons qui poussent les fumeurs au tabagisme. Le nouveau directeur de l'Institut national sur l'abus de drogue (NIDA) du gouvernement américain, Wilson Compton, a passé sa carrière à analyser les effets des drogues, de l'alcool, de la cigarette et de la nicotine sur le cerveau. Le Dr Compton n'a pas pu se rendre à la réunion de Chicago à cause de la tempête de neige qui a paralysé Washington, mais le Dr Human a résumé l'importance de ses recherches.

« Il faut descendre de notre tour d'ivoire et cesser de penser que nous pourrons toujours imposer notre volonté aux fumeurs, dit celui qui était jusqu'à récemment secrétaire général de l'Association médicale mondiale. Il faut savoir ce qui les anime pour pouvoir leur proposer des solutions de rechange à la cigarette. »

Un nuage de mythes

Depuis quelques années, le Dr Human et d'autres spécialistes de la lutte antitabac s'intéressent beaucoup à la nicotine. « Il y a beaucoup de mythes à propos de la nicotine, dit le Dr Human. Beaucoup de médecins pensent qu'elle est cancérigène et mortelle à une dose relativement faible. Ce n'est pas le cas. Il faut penser à une utilisation à long terme des thérapies de remplacement de la nicotine, comme les timbres et les gommes, ainsi qu'aux cigarettes électroniques pour aider les fumeurs incapables d'arrêter. Pour le moment, l'utilisation à long terme des timbres et des gommes à la nicotine est considérée comme dangereuse. »

Health Diplomats, l'entreprise du Dr Human, conseille des firmes sur les meilleures manières d'améliorer l'impact sur la santé de leurs produits. Il a déjà eu comme clients des fabricants de cigarettes électroniques, mais affirme qu'en ce moment, ses seuls clients sont des multinationales pharmaceutiques et agroalimentaires.

L'automne dernier, la Food and Drug Administration (FDA), qui approuve les médicaments aux États-Unis, a publié le compte rendu d'une rencontre organisée en 2010 sur l'utilisation à long terme de la nicotine. Un pharmacologiste de la FDA, Dan Mellon, y a confirmé que la nicotine n'est pas cancérigène. « On voit que la FDA réfléchit à l'utilisation de la nicotine dans la lutte antitabac », dit le Dr Human, qui a fait une présentation à la réunion de 2010, mais qui n'était pas techniquement un invité de la FDA.

Le danger de la cigarette électronique, c'est qu'elle « relégitimise » le tabagisme et mène aux drogues, concède le Dr Human. « C'est pour cette raison qu'il faut éliminer les produits que le consommateur mélange lui-même pour ensuite les vaporiser dans la cigarette électronique. Il faut qu'il soit impossible d'y mettre du cannabis ou des arômes amusants ne contenant aucune nicotine. Et il faut encadrer la publicité sur les cigarettes électroniques pour limiter leur attrait pour les jeunes. »

La nicotine au fil des ans

1962 : Invention de la cigarette électronique aux États-Unis

1984 : Approbation de la première gomme à la nicotine, Nicorette

1991 : Approbation du premier timbre de nicotine

1996 : La Nicorette est vendue sans ordonnance aux États-Unis

1997 : Approbation du premier inhalateur de nicotine

2004 : Lancement de la première cigarette électronique commerciale, en Chine, par la compagnie Ruyan

Source : FDA, Health Diplomats