Les urgences du Centre hospitalier de l'Université de Montréal risquent d'être «submergées» par un afflux de clientèle itinérante souffrant de troubles mentaux à cause d'un changement de politique apporté à 24 heures d'avis par l'agence de la santé de Montréal.

La directrice, Danielle McCann, a en effet fait parvenir jeudi une lettre à tous les hôpitaux de Montréal, par laquelle elle met fin à la politique de «garde alternée» pour la clientèle itinérante en santé mentale. Depuis 2009, en vertu de la garde alternée, on désignait chaque semaine un hôpital du territoire montréalais qui devait accueillir les sans-abri souffrant de troubles mentaux.

Un itinérant arrêté au centre-ville, par exemple, pouvait être acheminé à l'hôpital du Sacré-Coeur ou à Louis-H.-La Fontaine si c'était la «semaine de garde» de cet hôpital. Pour les deux prochains mois, «les services policiers et ambulanciers transporteront les usagers vers le centre hospitalier situé le plus près de l'intervention», écrit Mme McCann.

«Du jour au lendemain, dans l'improvisation, on change une politique par lettre, rétorque le chef du service de psychiatrie du CHUM, Paul L'Espérance. Nous recevons beaucoup de cette clientèle chez nous. Je suis déjà dans une situation précaire depuis plusieurs mois: un tiers de mes lits sont occupés par des patients en attente d'hébergement.» Pour lui, la conclusion est claire: «Ça va nécessairement déborder aux urgences, dit-il. On va être submergés.»

La garde alternée était très loin d'être le système idéal, convient le DL'Espérance. «Mais l'abolition de cette garde, ça va être pire que la situation actuelle.»

Une «excellente décision»

D'autres, au contraire, sont ravis. «Ça fait des années qu'on réclame la fin de cette garde alternée. Pourquoi? Pour mieux desservir la personne qui a besoin d'aide. Une semaine, on amenait le patient à Sacré-Coeur, la semaine suivante, à Lakeshore. De semaine en semaine, les hôpitaux se lançaient la balle. Personne ne se préoccupait du plan de soins à long terme», souligne Jason Champagne, directeur des services généraux et des programmes spécifiques au Centre de santé et services sociaux Jeanne-Mance.

Oui, le changement de politique «risque d'être un casse-tête pour le CHUM, convient

M. Champagne, mais du point de vue du patient, c'est une excellente décision. Une fois son congé obtenu, la personne itinérante ne sera pas à l'autre bout de la ville et ne sera pas obligée de quêter pour retourner au centre-ville».

Une demande du SPVM

Au SPVM, on est également satisfait. «C'est une très bonne nouvelle, dit le porte-parole, Ian Lafrenière. Ça ne réglera pas tout, mais ça va être facilitant pour nous lorsqu'on aura une personne en crise.»

Et c'est sans parler du temps économisé dans de longs transports, soulignent les ambulanciers. «Il va y avoir une remise en disponibilité plus rapide des ressources sur la route pour les ambulanciers. Ça consommait un temps important», souligne Raymond Desrochers, d'Urgences-santé.

Selon nos informations, cette missive fait suite à des échanges entre la PDG de l'agence et

le chef du Service de police de la Ville de Montréal, Marc Parent. Après l'incident impliquant un policier qui invectivait un sans-abri peu vêtu par une température glaciale, Marc Parent aurait voulu mettre fin à cette politique de garde alternée, qui suscite depuis longtemps la grogne tant chez les policiers que chez les ambulanciers.

À l'Agence, on confirme les échanges entre Mme McCann et M. Parent, mais on souligne que la décision n'a rien à voir avec la vidéo controversée. «L'Agence réfléchissait à ce changement depuis longtemps. Avec les grands froids, la décision a été devancée», explique Liette Bernier, directrice adjointe aux services sociaux à l'agence.

«Le SPVM été partie prenante à ces discussions, dit Ian Lafrenière. La période de grand froid qu'on a vécue nous a interpellés.»

«Ce n'est pas d'hier qu'on a des hivers froids, réplique le DL'Espérance. Il y a des enjeux politiques là-dedans. Il y a des situations précaires qui ont fait les journaux et certaines organisations ne veulent pas que ça se reproduise.»

Le DL'Espérance se dit parfaitement prêt à prendre en charge tous ces patients supplémentaires... à condition qu'on lui en donne les moyens. «Demain matin, on aura facilement 3000 à 3500 patients très malades au centre-ville. Même si on en prenait le quart, c'est 6 à 7 millions supplémentaires que ça prend pour les traiter. Et là, je n'ai pas cet argent. On va créer une crise! Je veux bien les traiter, mais je veux avoir les outils pour le faire.»

Le chef de la psychiatrie du CHUM est d'autant plus amer qu'il a proposé, il y a deux ans, un ajout à son service de dix lits supplémentaires qui auraient été réservés à cette clientèle itinérante. Le projet, assorti d'embauche de personnel et d'une clinique ambulatoire, aurait coûté 6 millions. Il n'a jamais abouti. «On a levé la main. On était prêts à le faire», dit le DL'Espérance.

«On est conscients que certains établissements pourraient être plus sollicités. On va travailler avec eux. On va assurer le suivi», conclut Liette Bernier.