Ils sont partout: dans des penthouses au centre-ville, des entrepôts à Laval, des bateaux accostés à quai, des remises, des granges, des chambres d'hôtel. En moyenne une fois par semaine, les corps policiers québécois démantèlent des laboratoires clandestins de fabrication de drogues de synthèse: des opérations extrêmement dangereuses et coûteuses. La Presse vous entraîne dans les entrailles de ces installations clandestines, qui peuvent très bien se retrouver... à deux pas de chez vous.

Août 2009. Chantal St-Aubin, pompière à Val-Morin, est chargée de vérifier les détecteurs de fumée des résidences privées. Elle sonne à la porte d'une résidence cossue, chemin du Relais. Personne ne répond. En jetant un coup d'oeil par une fenêtre du garage, semi-barricadée, elle aperçoit ce qui ressemble à des produits chimiques. Avec son appel à la police, s'enclenche l'un des plus gros démantèlements de labos clandestins survenus au Québec.

La maison se déploie sur le sommet d'un petit promontoire, juste derrière un terrain privé de squash. La résidence est imposante: elle est évaluée à 600 000$ au rôle d'évaluation, elle dispose d'une piscine intérieure et d'un vaste garage.

C'est justement vers ce garage que le sergent Daniel Guillemette, responsable de l'identité judiciaire, se dirige ce matin-là. Les techniciens en explosifs viennent tout juste d'inspecter le domicile. La voie est libre: il n'y a pas de piège ou de produits susceptibles d'exploser à l'entrée des policiers.

Comme tous les policiers premiers intervenants dans un tel démantèlement, le sergent Guillemette est vêtu d'une combinaison de plastique épais, qui lui recouvre tout le corps. Ses pieds sont chaussés de bottes spécialement conçues. Il porte un masque, relié à un appareil respiratoire, qu'il transporte sur son dos.

Il a mis 20 minutes pour enfiler cette combinaison: un collègue a dû fixer la combinaison aux gants, aux bottes et au masque avec du ruban adhésif, afin qu'elle soit parfaitement étanche.

Important déploiement policier

Nous sommes au coeur de l'été. Au soleil, il fait près de 38 degrés Celsius. Mais à l'intérieur de la combinaison, la température approche les 45 degrés.

Avant de se vêtir de plastique jaune, le policier a donc dû enfiler une cooling vest, une sorte de débardeur où sont fixés plusieurs blocs réfrigérants glacés. «J'ai perdu six livres ce jour-là», raconte le sergent Guillemette.

La consigne est claire: toutes les 45 minutes, les policiers devront faire prendre leurs signes vitaux par les ambulanciers, pour déterminer s'ils sont en mesure de continuer à travailler dans cette chaleur extrême.

C'est Michel Tremblay, ambulancier à Val-Morin, qui prend les signes vitaux des policiers. «En 30 ans, jamais je n'avais vu un déploiement policier d'une telle ampleur», raconte-t-il.

Le périmètre de sécurité s'étend sur près de 300 mètres. Plusieurs résidences voisines ont été évacuées. Tout près de la «zone chaude», qui entoure la maison, se trouve la tente de décontamination, où les policiers, avant d'enlever leur combinaison, doivent se faire asperger d'un mélange d'eau et d'eau de Javel.

Un véritable éventail de produits

À leur entrée dans le garage, où se faisait la production des drogues, les policiers sont soufflés. «Il y avait tellement de produits qu'ils pouvaient fabriquer n'importe quoi. N'importe quelle drogue de synthèse», dit le sergent Guillemette.

Les policiers sont rarement confrontés à un tel éventail de produits chimiques. Les labos sont généralement «spécialisés» dans la production d'une drogue précise. Pas à Val-Morin. Une fois que les policiers auront fini de faire l'inventaire, ils auront en main une liste de plus de 30 produits chimiques différents.

Les équipements utilisés par le «chimiste» à l'oeuvre à Val-Morin -la «vaisselle», dans le jargon policier- sont également plus sophistiqués que la moyenne. L'homme qui produisait des drogues ici a même installé une hotte de ventilation, une précaution que ne prennent pratiquement jamais les trafiquants de drogue à l'oeuvre dans des labos.

«À Val-Morin, le gars savait ce qui était dangereux ou pas. Sa hotte rejetait les vapeurs toxiques à l'extérieur. C'était sécuritaire pour lui, moins pour l'environnement», raconte M. Guillemette.

Des rejets liquides toxiques

La «vaisselle» est installée sur deux grandes tables et dans des armoires. L'équipement occupe à peu près tout l'espace disponible. Des seaux entiers de liquide noirâtre, les rejets de production, sont manifestement destinés à être déversés dans les toilettes.

En produisant une livre de méthamphétamine, les trafiquants héritent de cinq à six livres de rejets liquides. «Et qu'est-ce qu'ils font avec? On les jette sur le terrain, dans les égouts, ça s'en va dans les champs d'épuration, ça peut contaminer les puits, les nappes phréatiques», explique le capitaine Martin Côté, de l'escouade régionale mixte Rive-Nord, à la Sûreté du Québec.

Au moment de pénétrer dans le garage de Val-Morin, chaque policier a en main un détecteur qui fait retentir une alarme en présence d'émanations toxiques. Dès qu'ils ont mis le pied à l'intérieur, «tous les détecteurs ont sonné en même temps», raconte Daniel Guillemette.

Un énorme contenant de verre, placé dans un bac à vaisselle gris, contient un liquide rougeâtre.

«Du phosphore rouge», diagnostique immédiatement le chimiste -un vrai, celui-là- de Santé Canada, qui fait toujours partie de la première équipe d'intervention de la police lors de ce genre de démantèlement. Le phosphore rouge est utilisé dans la fabrication de la méthamphétamine.

Le voyant danger s'allume immédiatement dans la tête de tout le monde. Comme le liquide est chaud, si on retire le bouchon, il pourrait s'échapper de la phosphine, un gaz extrêmement dangereux. «Tu respires, et tu décèdes», résume Daniel Guillemette.

Les policiers ventilent l'endroit. Ils ouvrent toutes les portes, toutes les fenêtres, puis sécurisent le produit.

«De la grosse production»

Ils continuent ensuite leur progression dans la maison, pour découvrir que le labo est imposant: de l'équipement est entreposé dans tous les espaces de rangement du rez-de-chaussée. Et tout l'espace du sous-sol est consacré à la production de pilules.

Trois presses sont constellées de poudre blanche. Et de grands bacs gris sont à moitié remplis de cristaux blancs. C'est de la méthamphétamine, dans sa forme semi-finie.

À côté, d'autres bacs gris sont remplis du produit final: des pilules. Des dizaines de milliers de pilules. «Il y avait sept ou huit grands bacs, sur le comptoir, pleins de pilules, raconte Daniel Guillemette. C'était de la grosse production.»

Les policiers de la SQ travailleront pendant cinq jours dans le labo de Val-Morin. Ils doivent séparer les produits, prendre deux échantillons de chaque produit. L'un est une pièce à conviction destinée au tribunal, l'autre est envoyée à l'analyse, aux labos de Santé Canada. Et le reste du produit est acheminé à une entreprise spécialisée dans la destruction de produits chimiques.

À la fin de la première journée de travail policier, deux hommes, qui ne se doutent de rien, se pointent à la maison du chemin du Relais. Réal Bélisle, pompier à Val-Morin, se souvient très bien de leur arrestation.

«Ils sont arrivés à la fin de l'après-midi. Dès qu'ils ont vu l'auto-patrouille, ils ont su. Ils ne se sont pas ostinés. Ils ont levé les mains et ils ont jeté leurs clés d'auto devant eux.»

David Michael Orban et Andrew Farhadell, deux hommes d'origine ontarienne, étaient de simples employés du labo. La tête dirigeante de ce laboratoire, Adeel Farha, a pour sa part écopé de 6 ans de pénitencier.