Le Dr Guillaume Langlois ne s'en cache pas: il trouve que les médecins sont trop payés. Au lieu de demander constamment des primes supplémentaires, il estime que les omnipraticiens devraient revendiquer des ressources afin de mieux soigner leurs patients et d'éviter l'épuisement professionnel.

«Quand j'en parle avec mes confrères, au moins un médecin sur deux me dit que, avoir su, il aurait fait un autre travail. Ce n'est pas normal de devoir pousser soi-même une civière ou de chercher une salle avec de l'équipement pour un malade. Mais c'est notre réalité. Et c'est sans compter les infirmières. Chaque fois que je fais un tour de garde aux urgences, des infirmières pleurent à cause des heures supplémentaires obligatoires ou du manque de personnel», déplore-t-il.

Un chat trône au beau milieu de la grande table de la salle à manger pendant que le Dr Guillaume Langlois explique que sa dernière fête d'Halloween a attiré 2000 personnes au village. Il s'attend à quelque chose d'encore plus gros pour Sainte-Gertrude, l'automne prochain. L'homme de 31 ans a refusé une clinique clés en main pour s'installer dans la région de Bécancour et devenir un médecin de village, il y a quatre ans. Son revenu a chuté de 20 à 30% depuis, mais la qualité de sa pratique n'a pas de prix, dit-il.

D'habitude, les médecins reçoivent leurs patients ou les professionnels de la santé dans leur cabinet. Pas lui. Il avait donné rendez-vous à La Presse chez lui, sur le terrain d'un ancien centre d'archerie médiévale, où les villageois peuvent se réunir pour des fêtes. Avant de faire visiter la coopérative, il a tenu à expliquer la différence entre sa pratique et celle des grandes villes comme Montréal, où il a étudié et travaillé.

«Dans les deux premières semaines qui ont suivi l'ouverture de la clinique au village, j'ai décelé une vingtaine de cancers. Ce n'était pas des cas d'urgence, mais des cas qui nécessitaient le suivi d'un médecin de famille. J'ai vu aussi beaucoup d'insuffisance cardiaque, des gens avec de l'eau sur les poumons, d'autres qui souffraient de dépression en silence. Ces gens-là, je les croise ensuite à l'épicerie, au dépanneur. Je connais le fils de l'homme à qui j'ai annoncé qu'il a un cancer. Je fais de l'équitation à l'écurie de l'un de mes patients. On ne peut pas soigner tout croche, ici, il y a une responsabilisation, une proximité.»

Un chemin de campagne mène à la coopérative de santé. Un bâtiment modeste, mais flambant neuf. Le Dr Langlois le regarde avec fierté comme s'il s'agissait du nouveau centre de recherche du CHUM, au centre-ville de Montréal. Il explique que la deuxième phase des travaux va bientôt commencer. Un agrandissement est prévu, qui permettra l'aménagement d'un centre de conditionnement physique, d'un local pour la physiothérapie et d'un autre consacré aux services du CLSC, telles les campagnes de vaccination.

La salle d'attente de la coopérative est spacieuse, très claire, mais aucun patient n'attend pour obtenir une consultation sans rendez-vous. «Je ne veux pas que les patients attendent comme des chiens à 4h du matin devant la porte de la clinique, dit-il. On a choisi d'appeler nos patients quand vient leur tour. C'est plus humain.»

Si la pratique de ce médecin de village semble idéale, elle se heurte cependant à des écueils. Quand le Dr Langlois a décidé de s'installer à Sainte-Gertrude, on a exigé qu'il fournisse 2 millions pour acheter la clinique. Évidemment, le jeune médecin tout juste sorti de l'Université de Montréal n'avait pas cette somme. Il a lancé un cri du coeur dans une lettre ouverte. Les villageois ont soudain retroussé leurs manches pour garder leur médecin, les élus municipaux aussi, de même que les entreprises du parc industriel.

La Ville de Bécancour a épaulé le Dr Guillaume Langlois en préparant le devis de construction. Un don de 100 000$ a été versé pour la première phase de la construction, et 88 000$ seront versés à l'automne pour la deuxième phase. «Le Dr Langlois est un de ces rares médecins qui ont vraiment à coeur leurs patients, explique le directeur général de la Ville, Gaston Bélanger. Nous étions tannés d'attendre après l'État. Mais il y a un piège là-dedans, parce que nous faisons le travail que le gouvernement devrait faire.»