Alice Lacoursière refuse de transférer son mari dans le quartier Ahuntsic. En attendant de trouver une résidence qui lui convienne, elle doit endurer le fait que Pierre est constamment déménagé d'un centre d'hébergement à un autre. Une situation éprouvante pour le couple, qui dit être «épuisé».

Depuis 1991, année où son mari a subi une importante hémorragie au cerveau, Alice prenait soin de lui à la maison. Tout a basculé le 7 février dernier. Ce jour-là, Mme Lacoursière est tombée sur la glace et s'est fracturé une cheville. Elle a dû être hospitalisée d'urgence.

Pierre a dû être placé dans un «lit d'urgence sociale» au centre d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) Jean-De La Lande.

Pendant ce temps, Mme Lacoursière a entrepris une longue réadaptation. «Je me suis rendu compte que je ne pourrais plus reprendre mon mari à la maison, raconte-t-elle. J'ai demandé une place permanente pour lui au CHSLD Jean-De La Lande.»

Mais parce qu'il nécessite un peu moins de trois heures de soins par jour, Pierre n'est pas admissible dans un CHSLD. «Les personnes qui demandent moins de trois heures de soins sont dirigées vers des ressources intermédiaires», confirme la directrice générale adjointe de l'Agence de la santé et des services sociaux (ASSS) de Montréal, Lise Massicotte.

En mai, l'Agence a donc suggéré à Mme Lacoursière de placer son mari dans la ressource intermédiaire Les Tournesols, à Ahuntsic. «L'endroit est très beau. Mais c'est difficilement accessible de chez moi. Je ne me déplace plus à ma guise», explique Mme Lacoursière, qui a refusé d'y envoyer son mari.

L'ASSS a accepté de prolonger l'hébergement de Pierre dans son «lit d'urgence sociale», le temps que sa femme lui trouve une résidence. «Ces lits peuvent être utilisés pour un maximum de trois semaines. Si la situation est compliquée, on peut prolonger le délai, mais une seule fois. Il faut donner la place aux autres», explique Mme Massicotte.

Incapable de trouver une place convenable pour son mari, Mme Lacoursière a reçu une lettre le 28 juillet l'informant que Pierre devait quitter le CHSLD Jean-De La Lande au plus tard le 7 août.

On lui a écrit qu'il serait déménagé dans un «lit de transition» au CHSLD Émilie-Gamelin. Mme Lacoursière a protesté, sans succès.

La semaine dernière, La Presse a assisté au déménagement de Pierre. À notre arrivée, à 9 h, sa chambre au CHSLD Jean-De La Lande avait déjà été vidée. Pierre était dans un état de panique et ne comprenait pas ce qui se passait. «Ils ont tout pris. Pif ! Paf !» a-t-il crié en se lançant dans les bras de sa femme.

Le coeur gros, Mme Lacoursière et son mari ont dit au revoir à «l'équipe de soins hors pair» du CHSLD Jean-De La Lande. À leur arrivée au CHSLD Émilie-Gamelin, Pierre semblait confus. Pendant de longues minutes, il a examiné ses nouveaux meubles. Il s'est ensuite mis à arpenter le couloir, silencieux, la mine basse.

«Pierre prend du temps à s'adapter à un nouveau milieu. Il avait enfin un équilibre. Maintenant, tout est à recommencer. Et j'aurai encore tout à recommencer d'ici quelques mois, s'attriste Mme Lacoursière. On traite les personnes âgées comme des numéros. J'ai l'impression d'être prise dans le système...»

La situation que vivent Mme Lacoursière et son mari n'est pas exceptionnelle, selon Francis Collins, de l'Association du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux.

«Des centaines de personnes âgées vivent des situations semblables chaque année dans les CHSLD, dit-il. À chaque déménagement, on constate la dégradation de leur état. Malgré ça, on déménage constamment les aînés tant qu'on ne leur trouve pas une place permanente. Les CHSLD manquent de places pour accueillir tout le monde.»

Le président de la Fédération des préposés aux bénéficiaires du Québec, Michel Lemelin, est du même avis. «Ça montre que le système est mal conçu. Ça montre aussi qu'il manque de places en CHSLD.»

* Il n'y a aucun lien de parenté entre Alice Lacoursière et l'auteure de ces lignes.