Québec veut lutter contre l'obésité morbide et améliorer l'accès à la chirurgie bariatrique. Mais il faudra encore des années avant que les changements se fassent sentir. Pendant ce temps, des milliers de personnes attendent. Leur santé se détériore. Elles vivent en marge de la société. Et le regard des autres leur rappelle constamment leur différence.

Pour les patients obèses qui ne sont pas inscrits sur une liste d'attente, inutile d'espérer subir une opération bariatrique avant de nombreuses années.

 

Sur son site internet, le Dr Nicolas Christou, l'un des spécialistes de la chirurgie bariatrique au Québec, est très clair. «Même avec l'annonce du ministre Bolduc, nous ne sommes pas capables de vous placer sur la liste d'attente avant d'éliminer la liste déjà en place.»

Il faudra encore de trois à cinq ans pour y arriver, ajoute le Dr Christou.

Pourtant, le plan d'action qu'a récemment produit le ministre de la Santé, Yves Bolduc, a été applaudi comme un pas dans la bonne direction. Québec veut faire passer le nombre d'opérations de 840 cette année à 3000 dans trois ans. Il a désigné deux centres d'excellence, le campus Lachine du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et l'Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (hôpital Laval), pour accueillir le plus fort volume de patients.

Le problème, du moins en ce qui concerne le CUSM, c'est qu'il faudra encore quelques années avant que le bloc opératoire du campus Lachine ne soit fonctionnel.

D'ici là, toutes les interventions bariatriques continuent d'être faites à l'hôpital Royal-Victoria, où le temps opératoire est très limité.

En fait, l'équipe de deux chirurgiens de l'hôpital ne dispose que d'une journée par semaine pour opérer les patients. Et encore.

«De 30 à 40% des cas sont annulés à cause d'un manque de lits pour soigner ces patients après l'opération. Il faut faire un choix entre quelqu'un qui a besoin d'une intervention pour un cancer de l'estomac, par exemple, ou pour une dérivation gastrique. C'est toujours l'estomac qui gagne», explique le Dr Christou, directeur du département de chirurgie.

Frustré de ne pas pouvoir opérer davantage de patients, le médecin s'est même retiré du régime d'assurance maladie du Québec au début de l'année. Désormais, les patients qui voudront être opérés par lui devront le consulter au Centre métropolitain de chirurgie plastique.

Il continue néanmoins de travailler à l'hôpital, opérant gratuitement les patients qui sont déjà inscrits sur sa liste lorsqu'il obtient du temps opératoire.

Pour contourner le problème de gestion des salles, il faut que l'hôpital fasse de la chirurgie bariatrique une priorité. Et pour cela, «le ministre doit garantir l'accès à cette chirurgie [après une période d'attente de] six mois ou un an, comme il l'a fait pour les opérations du genou, de la hanche ou de la cataracte», croit le Dr Christou.

Attirer plus de chirurgiens

À l'hôpital Laval, 200 km plus loin, le chef du département de chirurgie générale, le Dr Simon Biron, se considère comme chanceux. Avec son équipe de six chirurgiens, il opère à temps plein. Une nouvelle salle destinée à la chirurgie bariatrique vient même d'être inaugurée dans ce centre d'excellence désigné par le gouvernement.

Depuis plus de 20 ans, le Dr Biron et ses collègues contribuent au rayonnement de la chirurgie bariatrique. Mais aujourd'hui, il n'y a pas suffisamment de chirurgiens qui s'intéressent à ce domaine pour répondre à la demande.

«J'espère que le plan d'action va éveiller des vocations. Nous nous sommes battus pour faire reconnaître la chirurgie bariatrique. Nous avons une belle équipe ici, mais il faut qu'il y ait plus de chirurgiens ailleurs, dans les régions entre autres», croit le Dr Biron.

Il est convaincu des bienfaits de l'opération. Les patients maigrissent et les maladies associées à leur obésité disparaissent dans bien des cas. «Ça reste une intervention, pas un miracle», prévient-il toutefois.

Est-ce que l'opération augmente l'espérance de vie? Sans doute. «Mais elle redonne avant tout une qualité de vie. C'est ce qui est le plus important», souligne le chirurgien de l'hôpital Laval.

Pour un chirurgien, il est valorisant de travailler auprès de patients qui souffrent d'obésité morbide, indique pour sa part le Dr Denis Gravel, de la Cité de la santé, à Laval.

«Les patients sont reconnaissants et c'est ce qu'il y a de plus beau pour un chirurgien.»

Lui aussi se réjouit du plan d'action. Grâce au budget qui y est associé, l'hôpital pourra opérer plus de patients d'ici à quelques années, et surtout installer plus de bandes gastriques. Québec accepte désormais de rembourser l'anneau, au coût de 5000$.

«Nous vivions une situation très difficile, déclare le Dr Gravel. Nous avions des gens qui devaient choisir la méthode bypass (dérivation gastrique) parce qu'ils n'étaient pas capables de se payer la bande.»

La réduction des listes d'attente est essentielle, croit de son côté la porte-parole de la Coalition contre l'obésité morbide, Josée Roy, qui a elle-même été opérée en 2002.

«C'est extrêmement difficile pour le moral d'attendre sur une liste parce que nous savons qu'il existe une solution à notre problème, à notre maladie, mais nous n'y avons pas accès.»

 

L'obésité morbide

Pour ceux qui souffrent d'obésité morbide, les régimes ne peuvent plus rien. Seule une opération bariatrique peut les aider à maigrir. Une personne souffre d'obésité morbide lorsque son indice de masse corporelle est de 40 ou plus. Les causes de cet état sont multiples. Les gènes et l'environnement d'aujourd'hui, avec l'abondance d'aliments riches en calories, en seraient responsables.

L'intervention bariatrique est une opération de l'estomac. L'une des techniques consiste à réduire l'estomac, soit par une dérivation gastrique (bypass), soit par l'installation d'une bande gastrique (anneau). La seconde méthode tend à conserver davantage les parties fonctionnelles de l'estomac et limite l'absorption des éléments nutritifs. Il s'agit de la dérivation biliopancréatique.

En chiffres

5 ans: le temps d'attente moyen avant de subir une opération.

300 000 Québécois, soit environ 5% de la population, souffrent d'obésité morbide.

Plus de 4800 patients étaient inscrits sur les listes d'attente en mars dernier selon la Coalition contre l'obésité morbide.