Le cardinal Jean-Claude Turcotte prend sa retraite comme archevêque de Montréal. Le long règne de 22 ans du «prêtre ouvrier» a été secoué par des fermetures d'église, des scandales de pédophilie et par la montée en puissance de Marc Ouellet, le cardinal conservateur qui pourrait devenir le prochain pape.

«Quand Marc Ouellet s'est retrouvé dans l'eau chaude pour avoir qualifié l'avortement de "crime moral", au printemps 2010, Jean-Claude Turcotte a été le seul évêque québécois à l'appuyer.

Sans cautionner directement les propos de Mgr Ouellet, Mgr Turcotte avait rappelé qu'à l'automne 2008, il avait lui-même pris part au débat en remettant sa médaille de l'Ordre du Canada pour protester contre le fait que Henry Morgentaler, l'un des pionniers de l'avortement au pays, venait aussi d'être décoré.

Au même moment, l'archevêque de Montréal avait dû défendre sa décision d'accorder une bourse d'étude à un prêtre montréalais reconnu coupable d'attouchements sexuels sur une fillette de 8 ans.»

Les dernières années du long règne de Jean-Claude Turcotte, qui a atteint l'âge canonique de la retraite - 75 ans - en juin dernier, ont été radicalement différentes de ses débuts comme cardinal. Charismatique, ses blagues et ses bons mots charmaient les fidèles et les médias. Il était la voix de l'Église au Québec. Et il a fait rêver les réformateurs en permettant des discussions sur l'ordination des femmes.

«Quand il entre dans une pièce, on se retourne pour le regarder», explique Philippe Vaillancourt, qui gère le site d'actualité catholique Crayon et goupillon. «Pendant un bon moment, il a été le seul cardinal votant du Québec. On allait le questionner, le voir en fin d'année pour les bilans. Tout a changé avec l'arrivée de Marc Ouellet à Québec, en 2002. Il y avait un profond respect et une admiration entre les deux hommes, mais sur la façon pastorale d'agir, ils étaient en désaccord.»

Jean-Claude Turcotte est devenu prêtre à 23 ans. Il a d'abord travaillé dans les organisations ouvrières, expérience dont il se réclame encore. Mais à partir de la fin des années 60, il a oeuvré au diocèse, devenant évêque auxiliaire à 46 ans. «C'est la visite de Jean-Paul II, en 1984, sur laquelle il a beaucoup travaillé, qui l'a fait remarquer». Il a succédé à Paul Grégoire à titre d'archevêque de Montréal en 1990.

Suivant la tradition établie à Montréal par le cardinal Paul-Émile Léger, il a fait du soutien aux pauvres sa priorité. «Ce qui m'inquiète, avec le vieillissement des religieux, c'est qu'ils s'occupent beaucoup des plus mal pris», disait le cardinal Turcotte cette semaine, en marge de la conférence qui présentait son successeur, Christian Lépine.

Son charisme a fini par se retourner contre lui. À la fin des années 90, il est devenu la figure du refus de l'Église de s'excuser pour les sévices subis par les orphelins de Duplessis, qui ont été internés dans des établissements psychiatriques catholiques dans les années 50. Même Raymond Gravel, le prêtre de Saint-Jérôme bien connu pour ses critiques de l'Église, considère que Mgr Turcotte a été injustement ciblé dans ce cas.

«Ces dernières années, il se faisait souvent insulter, dit Philippe Vaillancourt. Dans le spécial de fin d'année, Infoman parlait du «gros Turcotte». Lors d'une visite à Tout le monde en parle, en 2009, il avait été assailli de critiques sur le mariage des prêtres, la place des femmes, l'homosexualité, l'avortement. À la longue, ça l'a usé. Il était dégoûté des réactions aussi fortes envers sa personne.»

Cette lassitude a causé un certain immobilisme ces dernières années, selon M. Vaillancourt. Mais Mgr Turcotte n'a jamais cherché à faire de vagues. «Quand il est arrivé, il a maintenu plusieurs personnes à leur poste. Elles y sont encore et attendent son départ pour partir. Il n'a jamais fait de grand ménage.»

Cet immobilisme a eu des effets pervers dans la réorganisation des paroisses. «Jean-Claude Turcotte a voulu sauver les paroisses, mais il a abandonné d'autres milieux», estime Charles Langlais, recteur du Grand Séminaire de Montréal. «Il ne voulait pas être le fossoyeur de l'Église à Montréal. Le grand reproche qu'on peut lui faire, c'est de ne pas avoir regroupé plus de paroisses. Ses forces étaient ses faiblesses. Il connaissait bien Montréal, mais peut-être un peu trop pour avoir de la créativité. Il était capable de déléguer, mais dans certains cas, il aurait dû se mêler plus activement de certains dossiers.»

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Attaqué par un site pro-vie

Le cardinal Turcotte n'était pas critiqué seulement par la gauche. Le site pro-vie torontois Life Site News l'a aussi attaqué plusieurs fois ces dernières années, invitant même ses lecteurs à le dénoncer au Vatican. Les dossiers ayant causé l'ire de Life Site News concernaient l'avortement et les préservatifs. Des militants provie s'étaient fait interdire l'an dernier l'accès à la basilique parce qu'ils portaient des t-shirts comportant des slogans. En 2009, Mgr Turcotte avait déclaré que des propos de Benoît XVI sur les préservatifs en Afrique avaient été mal compris et que le pape ne suggérait certainement pas de s'abstenir d'en porter quand on était porteur du VIH. Et après l'excommunication d'une fillette de 9 ans ayant subi un avortement au Brésil, en 2009, Mgr Turcotte avait comparé l'avortement à un meurtre commis dans une situation de légitime défense.

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Une bourse pour un prêtre pédophile

En février 2008, un prêtre montréalais, Philippe de Maupeou, a été condamné à six mois de prison avec sursis pour avoir caressé la vulve et les seins d'une fillette de 8 ans en 2002. À la fin de sa peine, le diocèse de Montréal l'a envoyé faire une formation de trois ans en droit canonique à l'Université Saint- Paul à Ottawa, avec une bourse de 20 000$ par année. Cette décision a été critiquée, plusieurs y voyant une promotion. Mgr Turcotte a qualifié d'«erreur de comportement» le geste du père de Maupeou et a défendu la bourse comme une manière de former le prêtre à des tâches où il ne serait pas en contact avec des enfants.

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Ordination des femmes

Lors d'un synode diocésain en 1999, Jean-Claude Turcotte a permis aux fidèles réunis de se prononcer sur l'ordination des femmes. La proposition a reçu 66% des voix et Mgr Turcotte a promis d'en «faire part aux autorités ecclésiales». «Il a été critiqué par après», dit Charles Langlois, recteur du Grand Séminaire de Montréal. «On lui a reproché d'avoir permis un vote qui ne mènerait à rien. Lui s'est dit qu'on avait le droit d'y réfléchir, d'en parler. À mon avis, c'est un des facteurs qui a mené à la nomination de Marc Ouellet à Québec.»