Ottawa mène une campagne de discrédit contre Suaad Hagi Mohamud, cette Canadienne qui a été détenue au Kenya, au printemps dernier, sous une accusation de fausse identité, dénonce l'opposition à Ottawa.

«Le gouvernement maintient sa version des faits et force Suaad Mohamud à défendre son identité une nouvelle fois», a déploré hier le député libéral Dan McTeague, porte-parole en matière d'affaires consulaires.

 

«J'ai parlé avec Suaad à plusieurs reprises pendant qu'elle était au Kenya, et je suis absolument convaincu que, chaque fois, c'était bien Suaad», renchérit Joe Volpe, député d'Eglington-Lawrence, la circonscription torontoise où vit Mme Mohamud.

Elle a été arrêtée en mai dernier à l'aéroport de Nairobi et n'a pu rentrer au Canada qu'en août, après qu'un examen de son ADN eut prouvé son identité. Elle a intenté une poursuite de 2,5 millions contre le gouvernement fédéral.

Lundi, Ottawa a présenté sa défense à la Cour fédérale. La pièce de résistance de son argumentation: une déclaration sous serment de Paul Jamieson, l'agent d'immigration qui, après l'avoir interrogée à trois reprises, a conclu que la personne qui voyageait avec le passeport de Suaad Mohamud était, en fait, sa soeur Jihane.

Le premier interrogatoire a été réalisé au téléphone le 21 mai, jour de son arrestation. Paul Jamieson l'a ensuite rencontrée les 22 et 25 mai.

La jeune femme était censée avoir vécu 10 ans à Toronto; pourtant, elle ignorait le nom du lac Ontario et ne savait pas comment se rendre dans des endroits connus tels que le centre Eaton, dit M. Jamieson dans sa déposition. Elle ignorait aussi ce qu'est un formulaire T4 et ne pouvait nommer aucun premier ministre canadien, présent ou passé. Plusieurs de ses réponses étaient «vagues et évasives», dit Paul Jamieson, qui a depuis été muté à l'ambassade canadienne en Afrique du Sud.

Lors de la deuxième entrevue, Paul Jamieson a demandé à la jeune femme la date de naissance de son fils, le nom de l'école qu'il fréquentait et le nom d'un de ses professeurs. Elle s'est trompée de deux jours dans la date d'anniversaire et a été incapable de se souvenir du nom d'un enseignant.

L'agent d'immigration cite des contradictions dans les réponses de la jeune femme, qui a d'abord dit étudier au Humber College, puis au Seneca College. Quand Paul Jamieson lui a demandé de nommer ses frères et soeurs, elle a dressé une liste qui ne correspondait pas à celle de sa demande d'immigration. Plusieurs membres de la fratrie, dont sa soeur Jihane, ne figuraient plus dans son portrait de famille.

De plus, dit M. Jamieson, la jeune femme mesurait 6 ou 7cm de moins que ce qui était écrit sur le permis de conduire de Suaad Mohamud. Et elle ne portait pas les mêmes lunettes que sur la photo qui avait été prise d'elle à son entrée au Kenya.

Soupçonnant qu'il pouvait avoir devant lui Jihane, la soeur cadette de Suaad, l'agent d'immigration a appelé la jeune femme par ce prénom. Celle-ci a alors souri, et M. Jamieson a vu dans ce sourire une preuve supplémentaire à l'appui de sa théorie.

Des détails «non pertinents»

«J'ai déjà tout entendu ça», soupire Joe Volpe, selon qui la défense du gouvernement est basée sur des détails non pertinents. «Si la personne qu'ils avaient devant eux était Suaad, il fallait la ramener à la maison, et non la remettre aux autorités kényanes. Sinon, il fallait chercher la vraie Suaad. C'est ça, le fond de l'affaire. Pas la forme de ses lunettes», s'indigne-t-il.

Dans un courriel envoyé aux médias hier, l'avocat de Mme Mohamud, Raoul Boulakia, reproche au gouvernement d'avoir produit une déclaration sous serment limitée «qui a conduit certains à remettre en question ma conviction que Suaad est Suaad, qu'elle a toujours été Suaad, et que Suaad n'a jamais permis à personne de prendre sa place».

Il y joint une photo de Mme Mohamud prise le jour de son départ pour le Kenya, sur le chemin de l'aéroport. Elle y porte des lunettes semblables à celles qu'elle arbore le jour où elle a été interrogée par M. Jamieson.

Joint par La Presse, M.Boulakia a fait remarquer que Paul Jamieson conclut sa déposition en disant que, à l'époque, il «était convaincu» d'avoir devant lui une femme qui avait usurpé son identité. «Il ne dit nulle part que, encore aujourd'hui, après les tests d'ADN, il croit toujours que ce n'était pas Suaad.»