L'honneur familial est un concept difficile à comprendre pour les Occidentaux. «Pour énormément de gens, les conséquences d'un geste destiné à sauver la famille du déshonneur sont secondaires», dit Marie-Hélène Paré, travailleuse sociale et auteure d'une maîtrise sur les crimes d'honneur au Liban.

Pour certains, il serait donc moins humiliant d'être reconnu coupable de meurtre et envoyé en prison que de voir le nom de sa famille souillé parce qu'une soeur a eu des relations sexuelles avant le mariage ou qu'un frère est homosexuel. «Plus l'honneur a de l'importance pour la famille, plus les mesures pour en conserver l'intégrité seront répressives», observe la chercheuse.

 

Mme Paré, qui a travaillé au Moyen-Orient pour Médecins sans frontières et achève actuellement un doctorat à l'Université d'Oxford, en Angleterre, a interrogé pour ses travaux une soixantaine de parents libanais pour comprendre comment ils concevaient la question de l'honneur. Pour plus de la moitié d'entre eux, l'honneur familial était une valeur suprême à laquelle les hommes et les femmes de la famille - confinés dans leurs rôles traditionnels - devaient se conformer, sous peine de représailles.

Environ le quart des parents croyaient à l'égalité entre les sexes, mais se souciaient de sauvegarder les apparences en adoptant des «stratégies de tromperie», dit la chercheuse - par exemple, une fille violée sera mariée au violeur avant de divorcer deux semaines plus tard.

Une minorité des parents interrogés plaçaient les droits de la personne en premier et choisissaient, par exemple, de poursuivre un violeur devant la justice pour laver l'honneur de leur fille. Détail important, souligne la chercheuse: ces parents ne faisaient pas nécessairement partie de l'élite. «Ce ne sont pas nécessairement les classes les plus pauvres qui vont tuer», dit Mme Paré.

La religion n'est pas toujours derrière le crime d'honneur, rappelle la chercheuse. «Il s'agit beaucoup de la culture familiale, surtout si le nom de famille a une importance politique, culturelle ou militaire.» Des familles chrétiennes du Liban ont déjà tué pour l'honneur, indique Mme Paré, et des familles afghanes ont refusé que leur fille fréquente un Pakistanais même s'ils étaient tous les deux musulmans.

En Grande-Bretagne, où vivent des communautés moyen-orientales et du sud-est asiatique depuis de nombreuses années, le crime d'honneur est une notion bien connue. Les services sociaux, dit Mme Paré, interviennent très rapidement dans les familles dès que la question de l'honneur est soulevée. Ce qui n'empêche pas des familles bien intégrées d'être menacées par la famille élargie. «Dans les communautés où l'honneur définit tellement la réputation qu'ils ont, les parents ont actuellement très peu de pouvoir relativement, par exemple, à un cousin germain dans la contrée lointaine du Pakistan qui serait offusqué par le comportement de sa cousine et qui arriverait à l'aéroport de Heathrow. On a déjà vu ça.»

Le ministère britannique de l'Intérieur a fondé la Forced Marriage Unit, une unité spéciale chargée de recevoir les signalements de mariages forcés. Depuis le début de l'année, l'organisme a reçu 770 signalements. En juin dernier, le gouvernement a demandé aux écoles d'être vigilantes à l'approche de l'été, la saison pendant laquelle des jeunes filles sont emmenées dans leur pays d'origine - le plus souvent le Pakistan - pour y être mariées.

De plus, la police londonienne précise clairement que les signalements de mariages forcés et les crimes d'honneur sont pris en charge par sa division d'enquête sur les crimes haineux et la violence conjugale.

Les immigrants reçoivent-ils toute l'information nécessaire sur les valeurs et les lois en vigueur dans leur pays d'accueil? se demande Mme Paré. «Il faut revoir le mythe du multiculturalisme, celui qui veut que les gens s'adaptent comme par magie.»